Il est 18h37 et la séance s’est achevée à 18h32. Dès l’instant où le générique de fin est apparu sur le grand écran, on s’est rué hors du cinéma, avec l’idée de se soulager le plus vite possible en extirpant de soi, par la plume, l’outrage dont on s’est senti les victimes. Disons-le tout comme, Gregg Araki a littéralement saboté son dernier opus qui aurait dû se terminer 5 minutes plus tôt, là où tout était simple, touchant, tendre.

Si la réaction est si vive, c’est bien parce que jusqu’à l’heure passée de vingt-six minutes, on était tout à fait conquis. D’abord parce qu’on était heureux de retrouver Gregg Araki, cet univers adolescent si délicatement mis en scène, ces personnages complexés qui peu à peu se libèrent, cette imagerie pop nineties truffée de références photographiques, musicales, vestimentaires, parfaitement léchées.

Ça faisait du bien de retrouver cette patte si singulière dont nous étions privés depuis Kaboom (2010). Retrouver cette écriture fine et ces dialogues qui font mouches. Ces mouvements de caméras qui vacillent sous les coups de butoir de halos de lumières blanche irradiant sans prévenir le cadre, nimbée de l’auréole sonore, improbable et typique de Gregg Araki, ces espèces de chants cantiques. C’était bon, de sentir à nouveau la sueur des premiers émois adolescents, de voir l’insolente, jeune et charnelle beauté éphébique que ce réalisateur ne se lasse pas de dénuder. Il y avait même la simplicité dans le traitement de l’image qui manquait autrefois, pour nous émouvoir. On se disait « enfin, il est débarrassé de ses manières, enfin on cesse de voir Gregg Araki nous montrer Greg Araki derrière la caméra ». C’était le même constat que nous faisions la semaine dernière avec Mommy de Xavier Dolan. Araki comme Dolan trouvait un geste salutaire en ayant tiré le verrou sur leurs appétits.

 

WHITE-BIRD_affihce

La comparaison ne s’arrête pas là, White Bird et Mommy évoquent le trouble de la relation enfant-parents confrontée aux seuils de périodes nécessairement évolutives : l’entrée dans le monde adulte d’une part, l’aube de la vieillesse, d’autre part. Dans White Bird, la relation avec la mère est aussi fusionnelle et oscillante voir déclinante que dans Mommy. Kat (incarnée par la grâcieuse Shailene Woodley) renvoie à sa mère (Eva Green toute aussi vénéneuse et splendide, toute aussi Médée qu’elle l’était dans Kaboom) son reflet de lorsqu’elle était une jeune fille en fleur. Au contraire de Mommy, c’est la mère qui devient instable dans White Bird et chez qui la tempête menace toujours d’éclater. Absent dans Mommy, le père est dans White Bird le maillon faible du couple comme le rêve l’Amérique, le mollusque à cause de qui on vieillit deux fois plus vite que prévu, parce qu’il ne propose jamais rien de mieux que de dîner chez le vietnamien du coin.

Kat vivait parallèlement la même décroissance dans sa relation avec son petit copain. Avec quel panache Araki filme l’épanouissement de leur amour et avec quelle retenue il esquisse son amenuisement ! On se dit alors que White Bird est un film sur le temps qui passe et les amours qui n’y résistent pas ; les relations qui, tout en se promettent d’être fidèles, peinent à se cacher leur inéluctable éphémérité. Et l’image de Kat saluant son père à l’aéroport, la culpabilité lui débordant des yeux, lui avouant qu’elle l’aime quelques heures après avoir crié sa hâte de repartir dans son Université loin de sa maison d’enfance, aurait suffit à signer un retour réussi du réalisateur de Mysterious Skin.

Dans Kaboom, Araki déchirait la pellicule de son film en un geste punk et beckettien, « no future » et absurde,  et c’était superbe ; dans White Bird, il se tire une balle dans le pied en proposant un twist ending qui ruine toutes les intentions du film avec un ressort explicatif à l’intrigue du film, aussi improbable que grotesque, cinq minutes de scènes inconsidérées qui ouvrent la boîte de Pandor, tue tout le mystère et le charme du film et dénature son contenu avec un message trop appuyé et malvenu.

(Attention spoiler) En soi et pour être bien clair, ce n’est pas le caractère homosexuel de la relation entre le père de Kat et Phil qui nous a scandalisé ; ce sont plutôt les grosses ficelles avec lesquelles Araki a voulu créer un rebondissement final anti-conformiste par pur anti-conformise qui nous écoeure, ou quand le naturel nous rattrape au galop, c’est-à-dire comment ruiner un film où on s’était enfin mené soi-même au poste, pour déraper dans les arrêts de jeu et faire le malin sur un ultime propos mal placé. On sort donc de la salle avec l’impression d’avoir été trompé, d’avoir été mené en bateau, une sensation très désagréable. On ne nous y reprendra plus !

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique et Critique Ciné.

Diplômé en littérature comparée et communication, a étudié la naissance du fantastique en littérature et sa transposition cinématographique ; chroniqueur cinéma et musiques actuelles sur le web.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.