Sorti en salle mercredi dernier, Jérôme Bonnell réinvente les règles du jeu de l’amour et du hasard avec ce triangle amoureux bisexuel et amoral.
Charlotte et Micha viennent d’acheter une maison, nouveau symbole, après le mariage, d’un couple qui s’engage. Et comme les doutes viennent avec les engagements, Charlotte trompe Micha avec Mélodie. Mélodie brûle pour Charlotte qui ne semble pas partager la passion dévorante de son amante. Micha se rapproche de Mélodie qui, parce qu’elle est touchée par cet homme maladroit et sensible, ou parce qu’elle n’en peut plus de se heurter à la froideur de Charlotte, succombe à ses avances. Comme dans le théâtre de Marivaux, les personnages se mentent, se trompent ; se fuient puis se poursuivent jusqu’à s’en trouver, à la fin, désorientés.
Comme dans le théâtre de Marivaux, ces intrigues donnent lieu à des jeux de langages savoureux : tout ce qui se dit est ambigu, réversible et peut être prononcé par l’un et l’autre. Mais chez Bonnell, l’électron libre est une femme, le triangle amoureux est bisexuel et à la fin de la représentation, aucune morale n’est explicitement délivrée… Enfin presque.
Jérôme Bonnell parvient à diluer la portée érotique et non conventionnelle de la situation en lui insufflant du comique. En cela, il esquive avec brio ce qui peut guetter avec de tels scénarios: les atermoiements pathétiques et les jugements moraux (même si on en est pas loin à la fin). C’est sous un angle burlesque qu’est traité la confusion sentimentale des jeunes protagonistes. Il y a même de la virtuosité dans la mise en scène de Mélodie, l’amante double, chassée discrètement et simultanément de la demeure du couple qui l’un comme l’autre doit recevoir une visite exclusive et craint d’être pris en flagrant délit.
Malheureusement, on parvient difficilement à planer avec la même légèreté jusqu’à la fin du film et l’espace de quelques minutes on flirt avec la complaisance. En cause : cette nouvelle bien-pensance qui consiste à exalter l’éclatement des schémas relationnels traditionnels. Jusqu’à ces dix dernières minutes, c’est ce dont Jérôme Bonnell s’était brillamment soustrait, sans quoi ce film aurait été indigeste, parce que nous pensons que le cinéma n’a pas vocation à être à thèse. L’inévitable « plan à trois » est sensuel et fiévreux et servait déjà à porter un oeil bienveillant sur la situation s’il le fallait. En revanche, on se serait bien passé d’une nuba un peu longuette à… un mariage. Le contraste devient alors trop appuyé, on n’avait pas besoin de ça pour se dire que l’amour à trois, après tout, c’est cool ! Cela bafoue le travail précédent qui consistait à poser la caméra à la lisière de sentiments contradictoires et opaques.
L’habilité de ces scènes reposaient, il faut le noter pour conclure, sur la finesse d’un casting qui a dû être très étudié. Chacun incarne physiquement la complexité de sa personnalité. Charlotte (Sophie Verbeeck) est une beauté froide et vénéneuse; Micha (Félix Moati) gracile et doux; Mélodie vulnérable mais turbulente, passionnée et généreuse. Les acteurs ont des rôles bien déterminés mais ne s’enferment dans aucun stéréotypes, bien aidés par des dialogues précis et subtiles.
Ce film mérite le coup d’oeil et prouve que « Situation amoureuse : c’est compliqué » n’est pas le seul regard que peut porter le cinéma français sur les nouveaux comportements amoureux et tant mieux.
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