Créé en 1989 pour être la terre des musiques alternatives, Dour est bien connu pour recevoir la crème de la crème des artistes Reggae, Dub, Techno, House, Metal, Rock, Pop Indé, Soul et j’en passe… Quelque soit votre langage musicale, vous pourrez toujours vous y retrouver.

Si vous avez lu notre article sur Terres du Son, vous comprenez qu’au moment d’embarquer pour Dour nous sortions d’un festival familial à la programmation comprenant pas mal de groupes que l’on avait déjà eu l’occasion de voir à de multiples reprises. On arrive donc en Belgique avec les crocs aiguisés et une faim de vélociraptor. Ca tombe bien, on est ici dans un genre de Jurassic Park de la musique où se cotoient les dinosaures les plus féroces.

JOUR 1 : Lever le menton au pied de l’Everest

Lorsque vous arrivez dans cette jungle infernale, les kilomètres de parking et de camping donnent un avant-goût de la démesure de cette événement. Mais dès que vous entrez dans le site même, et que 2ManyDjs, l’expérimenté duo de Djs Gantois se produit sur la scène The Last Arena avec ses écrans grands comme des courts de tennis et ses colonnes d’enceintes à en percer le firmament, vous savez que vous allez en prendre plein la musette durant 5 jours. C’est comme un alpiniste forcené qui lève le menton au pied de l’Everest pour évaluer son effort. Quant à nous, devant ce concert où s’enchevêtre la techno, l’acide, la house, la french touch avec autant de facilité, on lève le menton pour boire un bon breuvage et pour considérer d’avance l’ampleur du beau bordel dans lequel on va farandoler.

JOUR 2 : Notre première communion

Au réveil on rencontre la population du Nord de la France, les vrais ch’ti et quelques Belges. Ne voulant pas faillir à leur réputation, leurs mains pour servir l’apéro sont lourdes. Tout le monde est super sympa comme dira Salut C’est Cool quelques jours plus tard, du type de la sécurité au mec de la fouille, rien à voir avec ces voyous de la capitale. On a enfin l’impression d’être des festivaliers et non pas des détenus dont le moindre geste est suspect. Y’a qu’à voir ce vigile danser pendant Recondite pour illustrer mes dires.

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15h, nous arrivons à la Dub Corner pour « skanker », entendez taper de la patte sur le sol comme un raton laveur sur ses rondins de bois, sur Reggaebus Soundsystem et Atomic Spliff (bientot en interview sur le site). Il fait un temps caniculaire et la scène ressemble à un champ de bataille d’eau. Après ces deux heures intenses, on file vers FKJ, le dreadeux qui mixe et joue de la guitare en même temps. On entre dans une ambiance brûlante et l’artiste donne du swing à se frotter le cul par terre. Par la suite, c’est Omar Souleyman qui prend la place de FKJ. On a l’impression d’être dans un club à Tanger, avec cet étrange mix de raï et de musique house.

22h, on décale à la Boombox pour s’imprégner un peu d’air de légende. Si la planète Hip-Hop avait son Mont Olympe, alors KRS-One serait Hephaïstos, le dieu du feu, de la forge, de la métallurgie et des volcans. Son flow est pareil à des crachats de lave, brûlant et truculant comme des sabres coulés dans la braise. On entend des grandes similarités avec Buju Banton parfois, et c’est sans surprise qu’il reprend, à un moment, le fameux Murderer. Autre fait marquant du concert, lorsque KRS-One fait appel à tous les breakeurs de la salle pour monter sur scène et montrer de quel bois ils se chauffent : là, le rappeur ordonne à la sécurité de laisser passer ces quidams et en deux trois temps mouvements la scène se trouve totalement envahie; les organisateurs sont contraints de se saisir du micro pour demander à plusieurs reprises aux gens de descendre, sans quoi le concert sera annulé.

Cela dure presque 10 minutes avec un beau bordel qui n’en démord pas, avant que la foule ne gronde et que le MC assistant de KRS-One implore les faux breakeurs de bien vouloir s’en aller. A force de bronca, les énergumènes descendent et KRS-One reprend le micro, hilare, s’excusant malgré tout pour sa bravade et le fiasco qu’il a failli provoquer. Il reprend donc, et achève son concert sur une fabuleuse idée de scène (encore) : il retrace l’histoire du Hip-Hop date par date, en affiliant un mouvement à un artiste et à une année avec des rimes fluides et nettes. Il situe son avènement personnel en 1986 et la foule gueule jusqu’à s’en faire péter la glotte : rideau.

On attendait le début de la programmation techno avec impatience et, comble de bonheur, on s’aperçoit qu’il y a une soirée spéciale pour le label Modselektor sur la scène Petite Maison Dans La Prairie. On arrive pour le Bulgare Kink, dont on attendait beaucoup. Il se produit en live ce soir, entre tout sourire, visiblement très heureux d’être là, et debout face à la scène, faisant dos à ses platines il salue la foule et tapote sur une de ses MPC, ce qui a pour effet de chauffer à blanc le parquet du chapiteau. 1h de set, un peu décevant, on a jamais atteint la folie acid attendue. Mais la communion du DJ avec l’assistance était très plaisante.

Pas le temps de traîner, il faut aller à la Jupiter Dance Hall pour assister au sermon de Monsignore Carl Craig, grand prêcheur de la Rome technoïde : Détroit ! On l’ignorait encore, pauvres innocents que nous étions, nous allions pourtant vivre le meilleur moment de ce festival. Durant l’heure et demie de set, Sa Majesté et son valet Mike Banks ne sourcilièrent ni ne frétillèrent des paupières tant ils étaient concentrés. Ils nous servent une techno feutrée aux soubresauts néo-jazzy. Sur des beats concis, des nappes d’aigus viennent rompre le rythme. On a l’impression d’être un bébé crabe que des vagues puissantes et cristallines brinquebalent et cognent contre le récif.

On en sort séchés comme des harangs, quoi. Dingue. Professionnel, rigoureux mais aussi créatif et poétique, on s’estomaque. Quand les lumières se rallument, on ne sait plus comment on s’appelle, on est ému comme une gonz’ devant Greys Anatomy, alors on va à la Cannibal Stage pour s’enhardir et reconquérir notre virilité. Et ça tombe bien, parce que le boss de la Hardtek est là, et son job à lui, c’est de propager de la testostérone par la médiaition des boomers. BOOM BOOM BOOM BOOM. Après la douce noyade dans une mer enthracite, on s’essore à la machine à laver. C’est néo andertal et proprement génial. Fin du Jour 2, allez, bonne nuit.

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JOUR 3 : Julio, bâche moi encore

On commence tranquillou avec Zola Jesus qu’on a découvert l’an passé avec le remix de Dangerous Days par MAPS. C’est une des rares fois où l’on a senti le dysfonctionnement du son (avec le drame Floating Point dont nous allons bientôt relater les malheureux faits) qui paraissait trop aigu, mal équilibré. La performance de Nika Roza Danilova est gesticulations, escalade d’enceintes et gémissements rock’n’roll. Pas folichon, mais avec un bon mojito ça se « regarde ».

Encore tout émoustillé de la veille on traîne tranquillement notre carcasse vers un autre spot où on peut, fesses à terre, siroter quelques broutilles en mirant une scène distrayante. Une après-midi de bourgeois festivalier disons. Et c’est à Tony Allen de nous amuser, lui et ses invités de prestige Damon Albarn et Oxmo Puccino qui tour à tour viennent interpréter des titres persos. Pour le leader de Blur, Gorillaz et l’autre floppée de projets artistiques dont il est l’initiateur, ce fut deux ballades pop gentillettes; mains baladeuses sur le clavier et regards au ciel. Pour Oxmo, le rappeur de service, c’était l’Enfant Seul. Ce superband improvisé manque de vraisemblance. Au loin on entend Kaaris, alors bien-sûr, de ci de là ça délire avec le mouvement de bras, muscles saillants.

Enfin, nous arrivons pour le vrai premier concert reggae de la journée avec Mungo’s HiFi et ses very guest stars Solo Banton et Charlie P. On est resté sidéré par la performance incroyable de Charlie P qui, d’extérieur, à l’air du Jacky lambda qui squatte aux alentours de la MJC de Chateaurenault assis sur son scoot’, en survet’ Jamaïca, à inonder un périmètre d’1 mètre de glaviots, mais à l’intérieur c’est un aède des collines de Zion Garden. Solo Banton, quant à lui, a le rôle de la mule au braiement sec qui tempère les roucoulement doucereux de Charlie P.

Après le quota reggae réglementaire de la journée, on va voir Julio Bashmore, prince de la famille royale Disco-House. Là, on peut te dire, mon petit pote, que ça s’est déhanché avec une telle vigueur qu’on y songera avec nostalgie, le jour où on s’appuiera sur un déambulateur. Eclairée par des néons bleus foncés et violets, dignes des meilleurs clubs de Bristol où naquit ce pur talent, la Petite Maison Dans La Prairie vibre. Ces transitions entre des rythmes funky soudain interrompus par une pluie de beats house nous ont bel et bien rendues épileptiques.

Après ce fromage crémeux devait arriver le dessert. Un peu décevant comme souvent la buche à Noël, Dixon, DJ classé number one au classement du très respecté Resident Advisor produisit un set qui ne sembla jamais décoller.

JOUR 4 : Vitamine C dans ta binch’

La langue se fait de plus en plus sablonneuse et se dissout dans le houblon hautement fermenté de la bière Belge (ces cons là, ils boivent de la bouteille à 12 degrés et ne connaissent le demi qu’en Jack Daniel pur…).  Longue est la récupération en ce jour de shabbat alors on soigne le mal par le mal. C’est Protoje qui, à 19h, nous sort de notre léthargie avinée et, shalom, on a bien dansé ! Comment ne pas succomber à ce pure bonheur distillé par cet ancien avocat qui, le visage fermé, récite un plaidoyer irresistible et envoûte le jury. Ses choristes l’égalent en talent, ça groove grave, le soleil inonde nos pupilles et nos membres autrefois alanguis sont désormais légers.

On attend désormais de pied ferme Mrs Lauryn Hill, et la bougresse arrive sacrément en retard. Fini les dreadlocks et les sourires angéliques, quelques mois de prisons pour des impôts impayés et une bonne dépression ont fait de la diva une chauve maugréante. Assise sur un tabouret, elle ne cesse de se retourner vers ses musiciens en faisant de grands gestes, soit qu’ils vont trop vite ou trop lentement à son goût. Malgré cette antipathie palpable, la voix de la prima dona, avec ce qu’il faut de suave et d’enroué en même temps est enchanteresse. On en verra pas beaucoup, parce qu’on doit filer à la Boombox pour Floating Points, le génie britannique, un DJ parmi ceux que nous attendions le plus.

Le gus nous avait complètement séduit sur une vidéo YouTube captant sa prestation au festival lyonnais Nuits Sonores. Son subtil mélange de musiques jazz et techno, ses improbables transitions bordéliques, chaotiques à première vue pour révéler la plus grande et stupéfiante harmonie en font un grand espoir de la musique éléctronique. Il introduit son set par des vinyles disco à mille lieux de son style, et cela dure assez longtemps pour qu’on s’impatiente. Bim bam boum, tout à coup il balance son titre phare « Nuits Sonores » sobrement intitulé en l’honneur du festival. Le jeu de lumière qui va avec est terrible, comme si une pluie d’étincelle accablait la foule. Nous, qui étions jusqu’ici en chien de faillance,  aboyons à gorge déployée comme des pitbulls affamés (pas le chanteur latino, non, quand même pas à ce point).

On se dit que ça y est, ça va envoyer du lard. Mais non, v’la ti pas qu’ils nous remet sa disco à Papa, avec en plus, des grésillements atroces pour nos tympans jusqu’ici cajolés. Tant pis on choisit de s’en aller, on va dans le Labo histoire de voir si une quelconque potion n’aurait pas la vertu de nous raviver. On tombe sur Jonathan Toubin, DJ New Yorkais qui joue du vinyl Rock & Soul à la Boulevard de la Mort, un DJ qui doit très certainement trôner sur les étagères de Quentin Tarantino. Voilà qui nous remet dans le bain après l’irritante déconvenue passée.

L’autre grand espoir de la soirée était Clouds. On assiste à un live machinique, arride, sauvage, un peu monotone, dont on aurait voulu un peu plus de relief. C’était malgré tout une performance intéressante.

JOUR 5 : L’Avènement

Si nous avons décidé de donner un titre digne d’un blockbuster à cette dernière journée, c’est parce que sa programmation, plus que tous les autres jours, en est digne. Sur la scène Elektropedia, vaste champ de gravier où gisent 4 immenses piliers de panneaux lumineux retransmettant des festivaliers dansant, se produira, à la suite, Âme, Recondite, Scuba, Dj Tennis, Rødhåd, Seth Troxler et Marcel Dettmann. Une line-up servie sur un plateau d’argent qui a elle seule constitue un festival dans le festival.

Il fallait au moins ça pour nous faire encore bouger notre derrière, nous qui avancions désormais sur nos moignons après ses quelques 150km parcourus en 5 jours (vu sur notre magnifique podomètre). Âme, le duo deep house berlinois, aujourd’hui représenté par un seul de ses membres Frank Wiedemann, balance un set coloré et nous donne un aperçu de ce qu’ont dans le ventre les colonnes de l’Elektropedia. La foule pète son cable sur un remix d’Aphrohead – Let’s Prance, ça fait « clac clac » à tout va, ça sent le clubbing berlinois à plein nez ! Il achève son heure et demie sur Fango – Wek. Le closing est parfait, deep à souhait, avec ses martellements intempestifs et son xylo indolent pour laisser la place au maître en la matière, Monsieur Recondite.

Celui qui s’impose comme un pillier du label Innervisions a assuré un des meilleurs set du festival et assurément le meilleur de la journée. Équilibré entre la docilité et la violence, l’assistance danse en hochant la tête pour approuver la qualité. Durant ce set, Recondite nous a gratifié de plusieurs exclusivités qui sortiront probablement sur son nouvel EP prévu pour l’automne. Avec Caldera en closing, il s’amuse de la géographie du lieu et balance des notes de synthé à droite à gauche si bien qu’on se croirait encerclé par une horde de soldats technoïdes prêts à nous jetter des riffs dans les tympans.

Derrière, c’est Scuba qui prend la relève et avec lui, on rend les clés de notre corps au Grand Barbu Céleste, car comment ne pas donner ses dernières forces devant tant de générosité Tech-House ? La tension maximale dans l’auditoire a pu se mesurer au moment du passage du fameux Future de Kevin Saunderson remixé par Kenny Larkin. Wala de la boulette.

On ne voulait pas manquer Guts, alors on a loupé Seth Troxler. La vie est faite de choix. Le beatmakeur de Boulbi nous a réjoui, dans une atmosphère très décontractée. S’en suit une errance parmi les scènes, entre un Rodhad fracassant, un Vandal à la raggatek (du ragga et de l’hardtek) ma foi… revigorante, un Marcel Dettman un peu soporiphique (ou étions-nous absolument vidé de substance vitale ?) et des Compuphonics remuants, poussant un chant du cygne tech-house digne des meilleurs rejetons des Get Physicals. Qui de mieux qu’un Belge signé sur un des meilleurs labels allemand pour clore ce festival ?

A l’écriture de cet article, on a eu l’impression de revivre cette expérience radicale et on finit aussi éreinté avec cette fois des tensions musculaires aux doigts et non aux mollets. Dour Festival, c’est crado, y’a pas d’endroit pour se caler mais la programmation aussi pléthorique que géniale, les installations de sons gigantesques et leurs ondes séraphiques en annulent totalement l’inconfort. Faites-le une fois dans votre vie.

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique et Critique Ciné.

Diplômé en littérature comparée et communication, a étudié la naissance du fantastique en littérature et sa transposition cinématographique ; chroniqueur cinéma et musiques actuelles sur le web.

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