Il y a vingt-cinq ans jour pour jour que j’ai pris ma plus grande claque sensorielle et musicale. L’été de mes dix ans, l’un de mes oncles m’a offert quelques cassettes pour me faire découvrir ses groupes préférés. Parmi ces témoins intemporels du son se trouvaient: Scorpions, Deep Purple, AC/DC… mais un autre album m’a profondément marqué à vie, avec ses envolées lyriques, son esprit joyeusement décalé et ses introspections violentes dans le plus assourdissant des vacarmes. J’ai nommé A Night at the Opera, quatrième et putain de meilleur album de Queen.

Lorsqu’on pense que j’aurais pu recevoir un disque de Mike Brant, la chair de poule survient sur toute la surface de mon anatomie…une vie à m’en remettre.

Bon, je sais, quand on pense à Queen, on voit les moustaches, les concerts dans les stadiums et les hymnes qui ont fait la réputation colossale du groupe et des animateurs de camping en manque d’inspiration… Le côté tellement beauf que ça en dégueule des enceintes de la Renault 12 à Jacky. Mais il fut un temps où Queen jouait dans des salles normales, avait le sens de l’harmonie et pondait des textes personnels.

A_Night_At_The_Opera_in

A Night at the Opera est un bijou sonore à écouter au casque, tant la perception de l’espace est grande dans cet album. A l’époque, en 1975, c’est la réalisation la plus chère de tous les temps…bien avant Chinese Democracy, bien sûr!

Death on two legs est le premier titre de la galette, et, oh my Goodness! C’est quoi cette intro de l’espace? Le piano qui virevolte au loin, telle une fée avant de se retrouver coincé dans une tempête sonique de guitares saturées qui vrillent les oreilles jusqu’au saignement… puis s’arrête sur une pompe gentillette et repart en sautillant pour changer encore de direction… Mais ils sont fous, ces Anglais! On est déboussolé à la première écoute, et c’est bien le problème avec Queen: ils ne vont jamais là où l’on pense. Ils font du Zig-Zag artistique en permanence, prouvant leur virtuosité et leurs multiples influences.

Le texte n’est pas en reste, puisque Freddie Mercury règle ses comptes avec leur ancien manager Norman Sheffield, «a real motherfucker», selon ses propres mots en live, qui a abusé de son rôle et a martyrisé le groupe durant ses quatre premières années (1972/75)…ça dénonce grave!

Puis, on remet sa veste pied-de-poule, son chapeau du Dimanche et on suit le groupe dans un délire totalement British, l’emploi du temps chez un Londonien moderne et chic: Lazing on a sunday afternoon, micro chanson de 1.08min. Pour l’anecdote, le son «mégaphone» de la voix de Freddie est le produit d’un premier enregistrement émis dans un casque audio à l’intérieur d’un seau et qui est ré-enregistré pour le mix final. Le bricolage à l’Anglaise, quoi!

I’m in love with my car est un titre écrit et chanté par Roger Taylor, le batteur, preuve qu’on peut bien faire deux choses en même temps. Ce morceau rock au tempo lourd et aux samples (oui, j’ai dit samples, en 1975!!) de moteur d’Alfa Roméo, décrit avec humour l’histoire qui lie l’un des roadies du groupe à sa jolie voiture, l’Amour de sa vie, comme il la surnommait.

Cette blague va générer autant d’argent que Bohemian Rhapsody, étant donné que Taylor a supplié Mercury de mettre sa chanson en face B de leur premier single. Bien joué, Roger!

Le très discret mais néanmoins génial bassiste John Deacon, (devenu carrément invisible depuis l’hommage rendu à Freddie Mercury en 92), se fend d’une chanson toute personnelle, dédiée à sa femme Veronica, intitulée You’re my best friend et prouve à tous qu’il peut aussi composer un single qui marche. En effet, ce titre joué au piano électrique Wurlitzer par le rouquin taciturne et chanté par maître Freddie se classera dans le top 10 d’un grand nombre de pays ayant l’électricité et donc un classement des meilleures ventes de disques.

Il ne me reste qu’à vous présenter Brian May, le prodige de la six-cordes (et docteur en astro physique, bordel à nouille!) qui nous envoie dans un conte de science-fiction.

’39, oui, voilà le titre. C’est juste une année, 1939. Mais c’est aussi la 39ème chanson de Queen depuis le premier album…merci Tonton Toine!

Mais loin de la technologie à laquelle on pourrait s’attendre d’un voyage dans l’espace, il nous la joue skiffle, un genre folklorique américain entre jazz, country et blues à base de planche à laver, contre-bassine et autres banjos. Déroutant si on lit les paroles en écoutant le morceau!

Brian est tout aussi inventif que Freddie est extravagant, c’est l’équilibre du groupe, la colle qui lie la folie à la technique de Queen. Tous les membres sont auteurs ou compositeurs, la patte de chacun est reconnaissable et c’est là que Queen se démarque des autres groupes phares des 70’s.

Docteur May nous offre ensuite un titre pour le moins compliqué à jouer à la batterie. Sweet Lady est plutôt heavy, mais calé sur un rythme ternaire, ce qui déroute un peu. La mesure change à la fin, faisant place à un boogie-rock bien bourrin. Le texte dépeint les relations compliquées et l’incompréhension dans un couple. Peut-être la raison pour laquelle on démarre en valse pour finir en pogo, qui sait…

Et voici le grand retour de Mercury, à l’origine du titre le plus loufoque de l’opus: Seaside Rendez-vous, qui est à mon avis la définition même du dandysme Anglais. A noter le pont dans la plus pure tradition du music-hall interprété à la voix par Freddie et Roger, imitant les instruments à vent, et rythmée à l’aide de dés à coudre sur la table de mixage. Bricolage mode Expert! Et encore, Brian May était parti aux toilettes pendant l’enregistrement de cette marrade générale. C’est l’une des rares fois où il n’apparaît pas dans les crédits.

The Prophet’s song est sans conteste ma pièce favorite, un chef d’œuvre de 8 minutes et 21 secondes mêlant le rock progressif et les prouesses vocales, des innovations jusque là impensables, une intro/outro épique réalisée avec un climatiseur et un koto japonais (hein???!!) et un texte basé sur un rêve halluciné de Brian May sur le Déluge, l’épisode mythologique décrit dans la Genèse, tu sais, l’Arche de Noé, tout ça.

On est à mille années lumières de We will rock you, n’est-ce pas, chers trappeurs? N’hésitez pas à me donner votre avis, je le rangerai avec mes slips en latex, deuxième tiroir au dessus des fausses moustaches.

Love of my life, la balade qui fait pleurer les durs. On le sait, le gars Mercury avait des copains, mais aussi des copines, et l’une d’elles lui a transpercé le cœur. En découle ce sublime morceau interprété au piano, guitares et harpe. En concert, Freddie laissait le public chanter la quasi-totalité du titre, depuis que la foule d’Amérique du Sud avait un jour couvert le chant…frissons et larme à l’œil.

Good company est un retour au Jazz Dixieland, un genre pratiqué à la Nouvelle Orléans dans les années 1910-20. Brian May imite les instruments traditionnels avec sa Red Special, la guitare qu’il a conçue de toutes pièces (elle a sa propre page Wikipedia!!). Les paroles nous racontent un homme qui délaisse ses amis pour sa femme, puis sa femme pour son travail. Et à la fin de sa vie, il n’a plus personne pour partager les leçons de la vie. Désopilant! L’humour british n’a aucune limite.

Mais avant de mourir, on se rend compte que Queen sait TOUT faire: Rêver, réfléchir, amuser et faire pleurer. Bon, on a attendu la onzième plage pour toucher au Graal. Bohemian Rhapsody est le morceau de Queen le plus écouté sur Terre, le plus complet, le plus difficile à enregistrer aussi.

La légende raconte que l’enregistrement dura trois semaines et que les parties vocales du segment «opéra» comptent 180 prises différentes pour donner cette superposition grandiose. L’utilisation de l’effet Stéréo est saisissante sur toute la durée du titre, ce qui est tout récent, je le rappelle, à cette époque. On passe de la balade au rock prog, puis de l’opéra au hard rock. Les explications quant au texte se perdent en conjecture sur la jeunesse de Freddie, l’idéologie Iranienne, la Bohème, les relations humaines, le fatalisme… OSEF, c’est juste beau, mon gars!

Ce morceau est le seul single au monde à avoir connu deux fois la première place du hit parade, en 76 et en 91, grâce au succès du film Wayne’s World. Et ça, on apprécie deux fois plus.

La dernière ligne vocale conclue les presque 6 minutes avec: «Any way the wind blows…» et le gong nous libère de la tension, des troubles que la vie nous amène.

Peu importe où souffle le vent, nous passons sur Terre sans vraiment nous y arrêter. Quoi qu’on fasse, il n’en restera rien. Autant écrire cette chronique sur du sable. Ô Joie!

L’album se termine par une version Brian May de God saves the Queen, l’hymne national britannique. Ce titre fera dès lors la fermeture de tous les concerts de Queen jusqu’à aujourd’hui.

En 2002, pour le jubilé de la Reine Elizabeth, le guitariste à bouclettes a joué cette pièce sur le toit de Buckingham Palace, rendant secrètement hommage à son héros, Jimi Hendrix. Quand je vous dit qu’ils sont rebelles et facétieux!

Pour en finir avec cette chronique éminemment redoutée par votre serviteur, pour d’évidentes raisons de fanatisme avéré, je dirais que la variété des styles explorés dans cet album représente la folie créatrice sans bornes de ce groupe qui a gagné le respect des musiciens, des passionnés, des romantiques et des rockers de tous poils avant de faire du rock de stades. Plongez-vous dans les 5 premiers albums en évitant les gros singles en carton et vous y trouverez des pépites !

A bon entendeur, ladies and gentlemen.

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique

Né à Lille, grandi à Agen puis réfugié politico-musical à Bordeaux, Hell Touane a subi l'influence de sa famille proche au travers de nombreux standards vinyles bien avant l'avènement du Compact Disc et son premier méfait: Claude Barzotti. En thérapie par l'écriture depuis.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.