Aaaaaah…l’été, ses plages blondes bordant un Atlantique infini, ses serviettes de bain qui s’envolent et les filles qui se changent sans remarquer l’œil gourmand qui s’assèche à ne point vouloir se fermer sur tant de délices extatiques…Voilà une formule qui aurait pu figurer au dos du premier disque du groupe de rock nantais Elmer Food Beat, si ses membres avaient eu envie de figurer au Panthéon du rock français respectable (Bashung, Thiéfaine, Higelin et autres, la liste est -heureusement- longue). Mais là où certains biaiseront et enchaîneront les effets de style aux subtilités littéraires, nos lascars s’adonneront à la grivoiserie et au «rock à guitares» simple, mais efficace!
Cinq branleurs qui l’air de rien amènent un vent frais dans le paysage musical français, croisement improbable entre the Beach Boys, the Ramones et Frédéric Dard. Moi, vous me connaissez? La simplicité bucolique des chansons paillardes a toujours été mon chemin préféré et, du haut de mes huit ans, je découvrais avec bonheur le rock cocorico et un bon nombre de secrets bien gardés par les adultes. En fait, les filles, c’est fastoche avec Elmer Food Beat! Et l’explication du chanteur Manou Ramirez tombe comme un coup de trique en interview: «L’inspiration? Les filles, les filles, les filles, leurs fesses, leurs seins, leur bouche[…]on est bien conscients que ça ne vole pas très haut, mais les gens qui viennent à nos concerts s’amusent, c’est le plus important.» Avec Pats (puis Kelu) et Twistos aux guitares, Vincent à la batterie et Alain à la basse (rapidement devenu ingé-son du groupe et remplacé par Kalou), la mayonnaise monte très vite et le groupe se fait un nom (et quel nom!) à l’été 86 sur les plages bretonnes avant d’enregistrer en 88 un premier maxi 45t autoproduit, avec déjà un sens de la dérision et du riff accrocheur. Daniela, La caissière de chez Leclerc, Est-ce que tu la sens? et Roméo sur Juliette se retrouveront bientôt dans leurs versions définitives sur leur premier «vrai disque», le terrible 30cm. Celui-ci sera produit par le label Off the tracks, que les garçons ont rencontré lors des Transmusicales de Rennes. Et la France entière découvre alors l’univers rigolo, décomplexé et un brin coquinou des cinq Elmer.
Au même moment apparaissent Ludwig von 88, les Satellites, Mano Negra, Tulaviok, ou encore les Wampas, la fin des 80’s marque le renouveau du rock auto-proclamé «alternatif» et enterre le temps d’une génération les souverains pontifes. Oubliés, les Johnny, Eddy, Gainsbourg, Goldman. Place aux morveux qui se déplacent en fourgon et squattent une piaule pour six tous les week-ends, finissant chaque concert au comptoir avec le public et vendant leurs disques eux-mêmes… Cette génération qui a hérité de l’influence punk DIY a retenu les leçons des anciens organise toute seule ses tournées, crée des concerts caritatifs (les Rockeurs ont du cœur, ça vous parle? Ben c’est Elmer Food Beat qui en est à l’origine, oui oui!) et ne cherche pas à faire de l’esbroufe.
Tout le long des treize titres de 30cm, les sujets abordés, je vous l’ai signalé, ne dépassent pas souvent la ceinture, sauf sur Couroucoucou roploplo, qui monte enfin le niveau… jusqu’à la poitrine…(à ce propos, l’ingénue Vanessa Paradis a fêté son 18ème anniv avec les Nantais sur le plateau de TF1. C’est terriblement mignon!)
Daniela, Caroline, L’infirmière, Linda, La grosse Jocelyne, La caissière de chez Leclerc, Brigitte…tant de prénoms et de professions qui m’ont fait rêver des années durant…les filles de cette époque portant l’un de ces jolis patronymes ont eu du mal à se défaire d’une image quelque peu…salace, je dois bien le dire. Et je vous rappelle que le public était constitué principalement d’ados boutonneux pleins de fougue et de vigueur, alors les soirées camping où l’on avait la chance d’avoir des copines, un poste à cassette et 30cm dans la poche promettaient autant qu’une année au pair en Suède!
C’est ainsi que le très sérieux Ministère de la Santé a utilisé Le Plastique c’est fantastique, premier titre et single du groupe, pour une campagne de sensibilisation aux maladies sexuellement transmissibles et au port de la capote dans les milieux étudiants.
Elmer Food Beat remplit l’Olympia, est consacré aux victoires de la Musique et l’album s’écoule à plus de 650 000 exemplaires. La gloire, pour ces obsédés talentueux qui ont marqué plus d’une génération dans les pays francophones. Par la suite, le groupe sortira deux autres albums un brin plus sérieux (Je vais encore dormir tout seul ce soir et La vie n’est pas une opérette), où l’on découvre une plume certes plus poétique, mais creusant néanmoins le même sillon grivois et paillard sur la plupart des titres.
Vers la fin de l’année 1993, le groupe se dissout à la suite de problèmes liés au label et, il faut bien le dire, d’un essoufflement de la part des musiciens et du public qui réclame de la nouveauté. L’excellent Heureux sur scène, enregistré au cours de la dernière tournée en public mais sorti tardivement, en 97, marque la fin de la première ère, celle de tous les possibles. Ce live retranscrit la puissance et l’énergie du groupe dans son élément favori, accélérant au maximum le tempo, comme pour caser plus de chansons qu’un concert des Ramones. Un régal!
Il faudra attendre l’année 2006 pour retrouver nos cinq garçons dans le vent sur les routes, puis en studio en 2010, 2013 et 2016. Mais pour votre serviteur, amoureux des premières fois, la magie des débuts s’est enfuie telle la biche qui a entendu le fusil au loin. Reste le souvenir et la vraie nouveauté.
Expliquer pourquoi j’aime Elmer Food Beat à de jeunes ados m’enverrait sûrement au tribunal, tant les allusions sont franches et l’époque a changé. Aujourd’hui, parler publiquement de sexe sans avoir fait signer de décharge équivaut à rouler bourré sans ceinture devant un commissariat.
Lisez San Antonio, écoutez Elmer Food Beat et dites-vous que la vie est courte, mais funky. Joyeux Noël!
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