Vêtu d’une blanche combinaison au style rétro-futuriste, Jeff Mills évoque ces pilotes des séries TV américaines de science-fiction qui, dans les années 60, sillonnaient les galaxies et traversaient les dimensions temporelles avec le flegme d’un surfeur hossegorien. Vendredi 19 septembre, est apparu un genre de Spock mélomane, qui aurait quitté Vuclain sur un coup de tête pour troquer les commandes de sa nef spatiale contre le poste d’une table de mixage afin d’ambiancer les terriens de la Machine du Moulin Rouge.
Enfin, tout cela pour dire que Jeff Mills commence sa tournée en France, au titre programmatique, Time Tunnel, qui propose une véritable odyssée à travers le temps.
Ainsi, le commandant Mills nous invite à bord de son sous-marin pour visiter le passé, l’Atlantis de la musique techno ; nous ramène à la surface, en hors-bord pour écumer avec indolence les mers de son temps présent ; et enfin nous embarque à bord de sa fusée, pour nous propulser hors du firmament, hors de l’existence, vers des contrées futures…
Au commencement, il y avait les vieilles boites à rythmes et les synthétiseurs archaïques. Rien de has-been à cela, à voir le jeune public se déhancher. Ce n’est pas cela qui dérange, bien au contraire on est charmé. En revanche, on est surpris d’entendre, avec quelle brutalité s’enchainent de vieux tubes disco, un riff de Jimi Hendrix, un tube des clashs, sans aucune transition … On passe d’un genre à l’autre avec la brutalité d’une playlist amateur improvisée au grès d’une soirée arrosée. À cela, nous pourrions trouver des excuses diverses et variées qui toutes accorderaient à Jeff Mills un statut de visionnaire : cette absence de structure est-elle voulue comme pour signifier le chaos informe et l’éclectisme dont est issue la musique électronique ? Probablement, oui…
Tout aussi loufoque et improbable, cette danseuse orientale qui apparaît soudain sur scène se trémousse lascivement en flirtant avec un python (oui oui) qu’elle finira, carrément, par avaler de moitié. Un genre de gorge profonde en somme (oui, deep throat). À la question what’s the fuck nous tenterons de répondre, en rationnalisant ce geste, que ce n’est là qu’une Salomé moderne, nouvelle incarnation de la musique techno, dangereusement tentatrice. Ou alors, c’était un artifice pour chauffer une salle déjà bouillante.
Et puis d’un coup, sans autre signe indicateur qu’une astuce scénographique (le chiffre 2065 projeté sur un mur en spirale, graphismes vidéoprojetés derrière la scène) v’là ti pas qu’on est dans l’tur-fu ! Boum ! Un son déconcertant, aux lourdes basses, agressif, aux BPM supersoniques nous saisit les temps, nous scalpe, nous assourdi et nous met en transe. Jeff Mills joue vite, fort puis interrompt tout, nous fait écouter le silence, travaille les montés en intensité de son mix. Au cours de ces intermittences, le DJ oraculaire fait retentir, à rythme régulier, une alarme, la sirène d’un navire, le sien, qui s’enfonce dans les profondeurs obscures d’un avenir inconnu et fantasmé.
Mieux que celui imaginé par Booba, le tur-fu de Jeff Mills atteint l’an 4000 et des brouettes avec une force croissante dont seule notre lointaine descendance pourra confirmer la clairvoyance. On en ressort ébouriffé et positivement désorienté.
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