The Imitation Game, ou le jeu de l’Imitation pour nos chers amis anglophobes (ou québecois) est un film réalisé par Morten Tyldum sorti le 28 janvier 2015 en France. Le film a pour sujet la vie d’Alan Turing, précurseur de la programmation et de l’informatique en général et interprété par Benedict Cumberbatch, alors que celui-ci est engagé par le gouvernement Anglais afin de lutter contre la menace nazie. Lutte qui se fera par le décryptage des codes envoyés par une machine allemande ultra complexe (pour l’époque) : Enigma.
Le sujet du décryptage d’Enigma a déjà fait l’objet de plusieurs films ou téléfilms (peu en revanche valent véritablement le détour) tant cette machine a suscité de l’intérêt et est à elle seule la source majeure de l’évolution technologique. Sans les codes que cette machine établissait, le travail de Turing n’aurait pas existé. Et c’est là tout le point de vue du film : on ne se focalise pas sur Enigma mais bel et bien sur la vie de Turing et sur le personnage. Loin d’un film d’action ou de type thriller monté comme une course contre la montre, le long-métrage est un biopic pur et dur, condensé dans les canons du genre, formaliste à l’excès.
Ainsi le récit va s’opérer de manière classique : Turing va raconter tout ce qui l’a mené à l’instant T où le film s’ouvre et ensuite le film se terminera sur la reprise de la vie du mathématicien depuis l’instant T jusqu’à la fin. Procédé très utilisé en matière de biopic et académique à souhait (Eastwood avait fait de même avec son J. Edgar), cette double temporalité permet de suivre les évènements dans l’ordre chronologique sans perdre pour autant de vue la finalité du film.
Hélas cela laisse aussi extrêmement peu de place à tout type de fantaisies cinématographiques (encore moins pour celui quelque peu adepte de la vie du personnage dont il est question). C’est tout le problème des films de ce genre et The Imitation Game, malgré l’intérêt de son récit de base ne déroge pas à la règle.
Il n’en reste pas moins que malgré le classicisme de la réalisation, cette dernière s’avère redoutablement efficace. Les décors sont fidèlement reconstitués (le lieu de tournage fut le véritable lieu de décryptage de la machine) ainsi que les costumes (Cumberbatch s’est attaché lui-même à retrouver le plus d’habits authentiques). Il est également à souligner une bande-son de véritable qualité produite par Alexandre Desplat qui n’en est pas à son coup d’essai dans le genre, mention spéciale pour le thème d’ouverture particulièrement enlevant.
L’ambiance du film est donc bel(le) et bien là, toutes les pièces sont réunies pour faire de ce puzzle une réussite, et c’est clairement le but du film, presque avoué, en tout cas pleinement assumé : le fait de concourir à l’Oscar. On veut plaire à l’Académie, alors on réunit ses ingrédients préférés.
Dès lors il est à noter que les grands moyens ont été employés côté casting également : outre Cumberbatch en figure de proue (bien que Leonardo DiCaprio ait été envisagé, celui-ci s’est désisté), Keira Knightley, Matthew Goode, Mark Strong et Charles « Tywin Lannister » Dance viennent compléter une équipe de noms bien connus. Le choix de B. Cumberbatch n’est pas étonnant et ne peine pas à convaincre. Déjà ultra solide dans son rôle de Sherlock, sociopathe hautement fonctionnel à l’esprit si particulier, c’est presque un exercice de répétition pour lui que d’incarner Alan Turing, génie homosexuel à la vision des choses franchement hors-normes. Hélas, bien que brillant et touchant dans son interprétation, on ne peut que ressentir cette méchante impression de déjà-vu à l’idée de voir Sherlock se lancer dans les maths, tant la composition des rôles et leur interprétation semblent similaires.
Le reste du casting suit ce même modèle de répétition : Charles Dance en rôle de leader très peu commode, Mark Strong en figure élevée, raffinée et diplomate intellectuel et Keira Knightley dans son éternel rôle de sidekick féminin (il serait grand temps de lui donner un rôle magistral).
Ainsi malgré l’intérêt des ingrédients réunis et du récit initial qu’est la vie intrigante de ce cher Alan Turing, le tout peine quelque peu à prendre pendant près de 2h. Peu de péripéties sont véritablement marquantes, les diverses aspects de l’homosexualité du mathématicien pratiquement survolés, tout comme le cœur même du film qu’est Enigma. Voulant simplifier les choses, le réalisateur ne pousse jamais véritablement l’explication sur cette machine et sur la résolution du problème par Turing, faisant de chaque rebondissement quelque chose de presque plat puisque peu approfondi.
Au final, The Imitation Game est un film qui ne peinera pas à trouver son public d’Académistes, pour sûr ! On parlera sans aucun doute de l’élégance de la mise en scène et de la bouleversante interprétation de Benedict Cumberbatch, autant de points qui mérite d’être soulignés certes, mais pourtant la vie d’Alan Turing méritait mieux. Elle méritait de s’appesantir sur les codes et les chiffres, de pousser au plus loin la psychologie d’un personnage complexe. Le génie qu’il était méritait également qu’on s’intéresse à l’humain, à son homosexualité qu’il ne pouvait pas accepter car elle était à l’époque condamnée, à la dureté de sa fin de vie et à son pardon accordé à titre posthume seulement.
C’est en passant à côté de toutes ces finesses que The Imitation Game s’inscrit comme un film au spectre beaucoup trop étroit. Une vision des choses triturée, torturée, mutilée pour correspondre, sourire norvégien du réalisateur en tête de proue, à cette mascarade que deviennent chaque année un peu plus, les Oscars.
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