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Après le succès de « Birdman » l’an passé lui ayant permis d’obtenir à la fois l’Oscar du meilleur film et celui du meilleur réalisateur, Alejandro González Iñárritu  revient cette année avec un film à l’esthétique complètement différente, bien décidé à apporter une nouvelle fois sa contribution à la construction de ce si bel édifice qu’est le cinéma. Doté d’un scénario simple et d’un script relativement allégé, le parti-pris de « The Revenant » est clair : faire du film une expérience cinématographique à part. Mais, alors qu’il est si facile de se perdre dans une telle démarche contemplative, le pari est-il tenu ?

L’histoire de « The Revenant » est d’une simplicité extrême : laissé pour mort par un traître de son équipe, le trappeur Hugh Glass va tenter de survivre au climat hostile d’une Amérique sauvage, à la profondeur de ses blessures et à la rudesse du voyage pour trouver le coupable et avoir sa vengeance. C’est un scénario des plus classiques, le plus souvent entouré de sous-intrigues, mais qui constitue ici le seul élément directeur. Autant dire que le défi était de taille pour Iñárritu afin de susciter l’engouement des spectateurs sur près de 2h30 de film.

Car le scénario n’est pas le seul point peu développé du long-métrage. En effet, les échanges entre les personnages sont peu nombreux, et souvent les silences plus parlants. Toute la recherche est ailleurs, sur une réalisation à l’esthétique particulière, mais aussi sur une mise en scène assez intelligente pour ne pas avoir à se perdre en dialogues.

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Le brio du film, tout son éclat, réside en effet dans la réalisation. Iñárritu l’avait annoncé dès l’abord, il ne voulait pas de fonds verts, il ne voulait pas de post-production retouchant toutes les lumières. Non, le réalisateur voulait deux choses : des lumières et paysages naturels. Et ce afin de garantir une expérience immersive aux spectateurs. Malgré les retards pris dans le tournage du film dus aux aléas d’une telle réalisation (l’équipe n’avait souvent qu’une heure et demie par jour pour tourner, allant parfois jusqu’à une seule journée par semaine), il n’a pas cédé, faisant de son film un des plus grands chantiers filmiques jamais entrepris.

Et ce qu’il faut souligner, c’est que le résultat est cent fois à la hauteur des efforts déployés. Chaque plan est une peinture cinématographique. Il serait possible de faire un tableau pour presque chaque arrêt sur image. Les panoramas sont somptueux et les lumières laissent sans voix. Allant du ton blafard d’un soleil matinal aux chatoiements d’un feu dans la nuit, en passant par la lumière pâle d’une après-midi qui s’achève, tout relève d’un travail méticuleux. Une passion sans bornes anime le réalisateur dans le tournage, et ça se ressent à chaque instant.

Installant son film avec un long plan-séquence, sur fond de percussions rappelant étonnamment Birdman, Iñárritu marque doucement la transition entre les volontés qui animaient son précédent long-métrage et son envie de marquer le cinéma avec celui-ci. L’exercice de style n’est pas le même. Le réalisateur veut nous faire prendre conscience que l’on peut en dire beaucoup en peu de mots. Que la vue d’une montagne enneigée ou du visage d’un homme éreinté par son périple suffit à faire comprendre énormément de choses.

Il est impossible hélas dans la mise en scène de ne pas faire un rapprochement malheureux avec un autre réalisateur adepte du cinéma contemplatif : Terrence Mallick. La volonté de confronter l’infiniment grand de ces espaces montagneux à l’infiniment petit de ce que représente la vengeance d’un homme contre un autre rappelle le processus engagé par « The Tree of Life ». Cependant, une fois encore Iñárritu se démarque, son histoire prend du sens là où la réalisation de Mallick n’est que le reflet de vagues tribulations pseudo-philosophiques attestant de la peur pieuse d’un réalisateur qui se perd en un flot vain d’images stériles et de réflexions inabouties.

Dans « The Revenant » tout prend son sens, l’immensité qui entoure le trappeur, son désir inébranlable et ce malgré les épreuves qu’il traverse. Chaque plan sert ce propos, questionnant à la fois la bien-fondé d’une telle quête de vengeance, mais opposant aussi la nature impitoyable de l’homme à l’impitoyable Nature. Résonne alors plusieurs fois comme un écho, murmurée par une douce voix, l’essence fragile de l’humain s’il ne concentre pas sur ses racines alors que la tempête agite ses branches.

Outre sa réalisation brillante, le film peut se prévaloir d’un casting sans défaut, avec en tête d’affiche Tom Hardy et Leonardo DiCaprio. Hardy confirme son talent dans son rôle de John Fitzegerald, mercenaire abîmé par la vie. La dureté se lit sur son visage, comme sur celui de tout ces hommes perdus dans un environnement hostile. Tom Hardy démontre une fois de plus qu’il peut pratiquement tout jouer. Étant très présent sur la scène Hollywoodienne depuis la sortie d’Inception en 2010, il ne cesse d’étonner par la profondeur de son jeu, notamment avec son rôle dans « Locke ». Ici, il vient incarner le pragmatisme à l’état brut, une espèce de personnification du proverbe « la fin justifie les moyens », qui n’est au final qu’une représentation différente du « survivant ». Représentation qui s’oppose alors à l’autre protagoniste majeur de cette histoire : Hugh Glass, interprété par Leonardo DiCaprio.

Ce dernier a décrit le tournage de ce long-métrage comme le plus dur qu’il ait eu à accomplir. Allant contre ses convictions de végétalien, il est amené à manger du foie de bison cru, ou encore à dormir dans une carcasse de cheval. Si la dureté du tournage se ressent sur les visages exténués de tout les protagonistes, elle vient crever les yeux lorsqu’il s’agit de l’interprétation de DiCaprio. Il devient méconnaissable, comme animé d’une ferveur lui permettant d’endurer les pires obstacles. On sent à chaque seconde la solitude de cet homme qui à tout perdu. Il est le vrai survivant, celui qui ne cherche même plus à vivre. La douleur de chaque pas et la résolution de cet homme cherchant sa revanche peuvent être ressenties comme jamais. Il est là aussi le brio de ce film, lorsque le génie d’un réalisateur et son implication sans limites rencontrent le dévouement et l’éclat de son acteur.

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Il est inutile de préciser que DiCaprio concoure une fois de plus pour l’Oscar, reste à savoir si l’Académie saura saluer pour une fois un film qui n’est pas aseptisé et dont le rôle est porté par autre chose qu’un acteur ayant subi une transformation physique.

Il est également à souligner la bande-son du film. Passés les premiers instants habités de percussions quelques peu irritantes, hommage sans doute du réalisateur à lui-même, celle-ci s’avère magnifique. La plupart du temps discrète, elle sait s’envoler l’espace de quelques instants afin de nourrir l’émotion du film.

Au final, « The Revenant » est bel et bien une expérience unique. Doté d’une réalisation plus que brillante alliant scènes vertigineuses et douce contemplation, il est une composition rare. C’est une ode froide et implacable, violente et brutale mais aussi, et surtout, mélancolique. Ultime retrouvailles entre l’homme et les paysages, loin des fonds verts et des retouches, Iñárritu nous offre son œuvre la plus aboutie. DiCaprio livre également sa performance la plus poignante. Dirigé de main de maître, il diffuse une émotion brute, viscérale. Alors, comme figée dans le temps, l’expression de ses yeux bleus nous transperce. Le souffle se ralentit, l’écran se fait noir. Silence. Qu’il est beau ce cinéma !

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A propos de l'auteur

Rédacteur Cinéma

Spectateur compulsif de cinéma et de séries, écrivain passionné, chroniqueur web.

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