Chers amis trappeurs, vous l’aurez sûrement compris, votre bienveillant Tonton aime le rock, la douce frénésie des guitares caressées ou maltraitées, les caisses claires qui claquent et les mots. Surtout les mots. Alors quand un chef d’œuvre vieux de 20 ans refait surface pour une réédition, le clavier me démange. D’autant plus qu’il s’agit d’une version «augmentée» (huit b-sides et trois inédits) de l’un des opus qui a fait voyager mon cerveau de fou à travers l’espace… tout cela sans substances, je le jure devant Saint Lemmy.

En 1997, le troisième effort de Radiohead est un message de désespoir à lui tout seul et lance le groupe d’Oxford sur une orbite que lui seul peut maîtriser. C’est aussi leur dernier «album à guitares» avant d’aller explorer de nouvelles sonorités électroniques que l’on sent poindre dans cet album justement appelé OK Computer.

Thom Yorke  et les siens ont demandé au label Parlophone carte blanche pour la suite de The Bends et aussi la participation de Nigel Godrich, qui restera à la production pour toutes les futures aventures sonores. Les boys vont ainsi se désolidariser un brin de leur maison de disque pour acheter eux-mêmes leur matériel, louer un manoir «hanté» à Bath, dans le sud-ouest de l’Angleterre et réaliser un pamphlet antisocial et déjà altermondialiste, loin de la recherche du succès planétaire. Bon, il n’empêche que cet album va pourrir toutes les autres productions au niveau des ventes et des critiques… Radiohead est comme ça, énervant de réussite, avec pourtant au cœur une envie de ne pas bêler avec le troupeau. Fuis-moi, je te suis, on connaît la chanson. Moi trop jaloux, avec un demi-million de musiciens.

Airbag ouvre le bal avec un mélange de pop et de lyrisme, contenant beaucoup de pistes sous-mixées qui lui amène cette nappe veloutée. A 3min30, la chanson semble s’arrêter pour repartir en montage purement jazz et faussement électronique. Les syncopes de basse de Colin Greenwood nous scotche du début à la fin, bien plus que les gémissements de renaissance du gars Yorke. On démarre fort sur cette galette sans gluten.

Et PAF! Paranoid Android enfonce le clou, le marteau et le bras dans nos casques!

Je sais que j’ai l’habitude de crier au génie dans mes petits papiers, mais je suppose que je n’écrirais pas aujourd’hui si ma vie avait eu pour fond sonore l’intégrale des Musclés ou Franky Vincent…

Donc, le deuxième titre des Anglais est comme d’autres classiques, découpé en plusieurs parties: intro avec les instruments acoustiques et une voix, ensuite (presque hard) rock, puis la pause salvatrice du ciel, chorale d’anges bigleux, pour finir en déluge sonore.  L’inspiration de cette composition viendrait des Beatles, de Queen ou encore the Pretty Things. Bel héritage, soit dit en passant. Un texte inspiré, lui, par le consumérisme quasi-religieux de cette fin de siècle, et les déviances individualistes de ce monde qui ne se lasse pas de tourner sur lui-même. On médite encore sur les paroles, vingt ans plus tard. Chapeau!

Subterranean Homesick  Alien nous emporte loin de nos villes, les petits hommes verts ayant enlevé Thom Yorke pour visiter une planète (une Terre promise?) où l’on peut respirer à nouveau. Encore un doux rêve caressé par le chanteur qui souhaiterait que ses contemporains regardent plus souvent le ciel que leurs pompes à 100 livres la paire. On s’envole avec les mélopées du gratteux Jonny Greenwood (le frangin de Colin).

Ma petite pépite, mon frisson garanti à chaque écoute, s’appelle Exit Music (for a film).

Une guitare acoustique, simple comme un Johnny Cash, la voix de Thom enregistrée dans l’escalier en pierre du manoir, ce qui lui donne cet écho si particulier… Puis la batterie entre en scène et la basse synthétique nous colle au fond du fauteuil! Un hommage au «Wall of sound» de Phil Spector…Les notes montent et les poils se dressent à mesure que la chanson avance, jusqu’à la rupture du chant en fin de phrase. Ce morceau peut être susurré à l’oreille d’un bourreau de Game of Thrones, il démissionnera sans doute pour aller faire pousser des violettes à Hautjardin. Pour sûr.

Let Down remet le modernisme sur le tapis et l’on comprend que la vitesse, la précipitation et l’absurdité n’est décidément pas la tasse de thé de nos cinq garçons à l’abri du vent. «Un jour, je me laisserai pousser des ailes, une réaction chimique, hystérique et inutile…» Un homme comparé à «un insecte écrasé sur le sol», les métaphores ne manquent pas dans ce texte hautement critique et poétique. La fin surprend par sa succession de notes électroniques qui ambiancent nos aéroports ou salles de jeux.

La «police de la pensée», imaginée par George Orwell dans son roman d’anticipation 1984, apparaît en transparence dans le sixième titre de l’album. Karma Police tire aussi une filiation chez les Beatles, surtout le sautillant Sexy Sadie dont on retrouve le riff du début. Ce deuxième single est le plus populaire de l’album, offrant une visibilité grandissante auprès du public de MTV, mais aussi des critiques qui ne cesseront de couvrir de louanges Radiohead, au sommet de son art. La chanson sera utilisée dans des séries, des films, reprise par beaucoup d’artistes pros ou amateurs.

Sans véritable refrain, cette chanson devient lancinante à la moitié du chrono, répétant à l’infini «For a minute there, I lost myself»…une façon de nous perdre dans les méandres de la folie du chanteur qui décidément, a quelques menus soucis avec son environnement physique et mental.

Phil Spector aussi avait le cerveau malade d’un génie, mais lui a fini en prison au lieu de monter sur le trône du rock. C’est sans doute ça, le Karma.

La bizarrerie de Fitter Happier m’avait longtemps rebuté, n’ayant aucun attrait pour le vocodeur et autres voix artificielles. Je l’avoue, les machines me font peur, et c’est ce qui motive justement ce titre qui n’est point sans rappeler  le film de Danny Boyle, Trainspotting avec son monologue du début. Exactement la vie idéale qui nous est décrite, lisse et ordonnée (comme on dicte un ordre, donc). La voix est celle de Fred, un programme de lecture installé sur tous les ordis MacIntosh en 1990. Le résultat est méga flippant. En fond, des extraits sonores du film «les trois jours du Condor», un thriller politique de Sydney Pollack sorti en 1975.

Mais un VRAI tambourin de VRAI musicien vient nous sortir de ce songe électronique pour rappeler que Radiohead est un putain de bon groupe de rock !

Electioneering nous pète à la gueule! C’est drôle, mais à chaque fois que j’entends les premières secondes d’intro, je m’attends à entendre (What’s the story) Morning Glory de Oasis…J’y peux rien, c’est un réflexe d’écoute prolongée, docteur! Syndrome de Pavlov, sans doute. Bon, la gratte est différente, rappelle plutôt les pères Lennon/Mc Cartney que les frangins mancuniens drus du sourcil. Ce titre ramène aux bases de ce qu’on avait entendu sur les albums précédents: Pablo Honey ou The Bends. Simple, efficace, in your face. Bref, du bon.

Climbing up the walls part loin dans l’expérimental, avec ses samples et ses effets fuzz, sur les instruments comme sur la voix. La batterie nue et détimbrée de Phil Selway est lointaine mais lancinante, Ed O’Brien descend ses gammes comme on pleure sur un avenir perdu. La fin du titre est accompagnée de cordes enregistrées à Abbey Road – excusez du peu! Et se termine en fondue savoyarde grunge à souhait, amplis qui dégueulent et tout le bazar.

Ça tombe bien, une balade nous attend au tournant, nous prenant par…surprise, hééééé oui.

No Surprises est jouée comme une comptine. On y entend, outre la guitare, un glockenspiel (sorte de petit xylophone), la mélodie est très douce, enfantine. Thom Yorke cherchait une sonorité rappelant l’album Pet Sounds des Beach Boys lorsqu’il a composé cette chanson, en 95. La version définitive est la toute première prise de la première journée d’enregistrement de l’album.

Je vous envoie lire les paroles, cette comptine parle joliment d’un ras le bol de la vie contemporaine, du gouvernement et commente un suicide (social, j’imagine, ou plutôt j’espère) par asphyxie.

Il me vient des envies de chips, cacahuètes et de cotillons pour fêter ça. Tournée générale de cyanure!

Lucky vient juste à temps pour changer les draps de notre linceul et ainsi nous refiler un peu d’espoir. Décidément, ces Anglais ont le chic pour mélanger les ambiances et nous retourner les tripes toutes les cinq minutes! Cette balade nous envoie dans un avion en perte d’altitude, métaphore même pas cachée d’une histoire d’amour. On ne sait si la fin est heureuse, mais le groupe a balancé l’une de ses œuvres les plus poignantes, écrite pendant les soundchecks lors d’une tournée en 95. Pour votre Tonton, il y a du Pink Floyd, là dessous. Je m’incline devant une telle composition. 

La dernière piste de ce fabuleux album s’intitule The Tourist, et il est frappant de voir ce que va précéder cette bombe sonore.

Le groupe Radiohead n’a pas seulement été influencé par les plus grands, il a aussi jalonné ce que sera le rock et le progressif pour une, voire deux décennies. Difficile de ne pas imaginer Muse, Porcupine Tree, the Verve, Travis, Block Party, TV on the Radio…sans cet album et sans ce dernier titre. N’importe lequel de ces groupes pourrait le reprendre sans avoir à trembler des genoux et en retirer une certaine fierté, mais les cinq d’Oxford ont remis les compteurs à zéro en faisant de ce disque un objet musical protéiforme. La suite logique de The Tourist sera sur le successeur de OK Computer, très habilement nommé Kid A, en 2000.

Encore une fois, la bande à Yorke va surprendre tout le monde en virant les guitares et se concentrer sur les claviers et les ordinateurs. Une nouvelle aventure qui prendra racine dans ces douze morceaux rêches et inquiétants.

En attendant ce virage, OK Computer reste un classique et nous prouve aujourd’hui encore que la plus belle musique doit savoir raconter quelque chose. Et quand moi j’écoute OK Computer, je ferme les yeux et je vois l’Univers. Bonne écoute et bon voyage.


ALBUM EN ECOUTE INTÉGRALE

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique

Né à Lille, grandi à Agen puis réfugié politico-musical à Bordeaux, Hell Touane a subi l'influence de sa famille proche au travers de nombreux standards vinyles bien avant l'avènement du Compact Disc et son premier méfait: Claude Barzotti. En thérapie par l'écriture depuis.

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