-Le terme grunge est un adjectif utilisé pour la première fois en 1957 par Johnny Burnette et repris régulièrement pour décrire quelque chose de sale, mal dégrossi, rugueux et poisseux, notamment par Lester Bangs, rock critic des années 70 – un modèle de journaliste aussi taré que ses clients.
Mais qu’est devenu Chad Channing?
Ce batteur plus que correct techniquement et assez inventif pour combler les lacunes mélodiques de Kurt Cobain et Krist (ou Chris) Novoselic a-t-il quitté l’autoroute de la gloire par la porte des chiottes? Aux dernières nouvelles, oui. Il est devenu bassiste/chanteur de son groupe Before Cars et a été oublié lors de l’intronisation de Nirvana au Rock and Roll Hall of Fame en 2013.
Dave Grohl remerciera néanmoins Channing lors de la cérémonie pour son travail et son implication durant les premières années du groupe.
Bleach est le premier album de Nirvana, pour celles et ceux qui pensaient que les graisseux du cuir chevelu n’avaient sorti qu’un tonitruant Nevermind et un sublime In Utero avant d’exploser en plein vol ce jour d’avril 1994, d’un coup de M-16…(comme quoi, collectionner les Pokemon et élever un Tamagotchi, c’est foutrement moins dangereux que les flingues et la dope)
Enregistré entre Noël 88 et Janvier 1989, donc pour mon 7ème anniversaire (sois précis ou meurs) aux Reciprocal Studios à Seattle, il n’aura fallu qu’une trentaine d’heures pour mettre sur bande et mixer ces onze titres (plus deux rajoutés par la suite dans les ré-éditions). Sur la pochette, deux batteurs sont crédités:
Chad Channing, qui aura enregistré la plupart des morceaux, et Dale Crover, cogneur officiel des Melvins, amis et mentors de Kurt Cobain. Celui-là aura gravé quelques mois plus tôt les parties batterie de Floyd the Barber, Paper Cuts et Downer. La raison de ce carnage sonore à moitié bâclé et agencé dans la précipitation? Mais c’est l’argent, ma p’tite dame! Le producteur demandera 606,17$ au groupe qui doit emprunter à Jason Everman, ami et fan qui ne récupérera jamais son fric, mais sera crédité comme deuxième guitariste pour sa peine. Aaaaahh…les anecdotes épiques du Rock…
Le Label SUB POP se charge de sortir la cassette et le vinyle, mais manquant de thunes, repousse l’échéance au 15 Juin 1989 et n’en fait presque aucune promo, hormis un communiqué de presse qui fait encore rire les experts-comptables: «Ils sont jeunes, ils ont leur propre van et ils vont nous rendre riches!» On l’écoute, cette cassette?
A mon humble avis, si quelqu’un avait décidé à un moment de remonter l’accordage des basse/guitare, ce missile pop-punk-metal confit dans la graisse d’ours serait passé presque inaperçu. L’intro de Blew est putain de lourde! C’est à se demander lequel des trois va remonter le tempo pour rendre accessible ce titre grunge à souhait. Au final, la batterie va garder le beat et le chant, moins sombre qu’enfantin, va alléger (un poil) l’atmosphère. Merci d’avoir gardé ton âme de gosse torturé, Kurt!
L’album est une succession de morceaux allant du sautillant About a girl, qui a connu une seconde vie après 1994 et la sortie de l’Unplugged in New York, au très très boueux Paper Cuts, qui colle l’auditeur au fond du seau s’il n’a pas pris sa dose de Juvamine au réveil.
Je tiens à signaler que j’écris ce papelard au lever du jour, qu’on est en septembre et qu’il pleut, bordel. Alors pourquoi m’infliger cela? Bah parce que j’aime Bleach et qu’il me ramène à mes années collège, mes questionnements, mes peurs et mes désastres amoureux… Lisez les paroles de tonton Cobain et remarquez la candeur qu’il faut avoir pour parler d’amour et de défaite sentimentale, de désorientation sociale et d’expériences alcoolo-chamaniques…le tout accompagné par un gentil géant à la basse et un batteur qui n’a qu’une envie, faire du thrash-metal.
Certains titres sortent évidemment du lot, comme Negative Creep, exécuté avec une hargne inattendue, qui décrit Kurt comme un être profondément négatif (quel scoop, mes amis!), mais pourtant avec un brin de poésie adolescente:
«Daddy’s little girl ain’t a girl no more», la seule phrase du refrain donne tout son sens à cet effort d’exprimer le décalage entre la jeunesse et l’American way of Life chère aux années 80 sous Ronald Reagan. Cet hymne sera repris maintes fois par Machine Head, Dee Dee Ramone, et Velvet Revolver, avec les anciens Guns n’ Roses, fichtre!
Love Buzz est aussi ancré dans ma mémoire, il s’agit d’une reprise des Shocking Blue, un groupe Hollandais de la fin des 60s, relativement …barré. C’est le moins que l’on puisse dire. Cette chanson alterne entre le calme du couplet et la fureur sonore du refrain instrumental. La marque de fabrique de Nirvana pour l’éternité. Celle qui va influencer un bon million de groupes à travers le monde relié à l’électricité.
Ce qui me plaît dans Bleach, c’est la prise de son brute, directe, loin des standards de l’époque où on avait un mix parfait, avec coupure et re-coupure, rien qui dépasse…le côté aseptisé des hits Américains a été bousculé par des titres comme School ou bien Swap Meet, chanté à la limite de la justesse et du bon goût. La production de Jack Endino a fait le taf, malgré les difficultés financières de l’enregistrement.
Le but de cet album n’était pas forcément de plaire aux radios ou au large public, mais de partager une vision de la vie, cette existence coincée entre l’insouciance des années passées et le rude retour aux choses sérieuses dans les années 80. La méritocratie ou la mort.
Kurt et ses potes ont choisi une troisième voie, celle des inadaptés (Misfits, en Anglais) talentueux qui vont rencontrer en peu de temps leur public de gamins dégénérés (dont je fais partie) et constituer une véritable armée de branleurs qui sentiront la bière et la sueur jusqu’à la phase reproductive. Et cela bien après la disparition de Kurt le prophète, porte-étendard malgré lui d’une génération qui a vu en lui le sauveur idéologique de la jeunesse, ce poète maigrichon qui se foutait de la politique et ne pouvait pas se sauver lui-même.
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