Au début des années 80, les grands groupes de Rock et Hard-Rock se font vieillissants. Aerosmith a le nez dans la poudre, AC/DC tourne en rond sur des scènes de plus en plus gigantesques, Queen arrête les tournées en 86 et s’occupe en studio pour pondre des B.O plus ou moins réussies (Highlander, Flash Gordon…)
Les rockers attendent « the Next Big Thing ». Il va sortir de Los Angeles en juillet 87 et porte un nom poétique jusqu’au fond du slip : Apetite for Destruction. Il est le rejeton malsain de deux formations, les L.A Guns et les Hollywood Rose qui fusionnent pour former ce qui va être le plus gros carton des 10 années à venir. Un monstre blues/rock/hair/glam/punk sponsorisé par Jack Daniel’s et L’Oréal. J’ai nommé : Guns n’ Roses
A la gratte et au chapeau, c’est encore un enfant du blues et de vieux rock, Saul Hudson, plus connu sous le nom de Slash qui va ciseler riffs et solos venus des tréfonds de l’enfer, l’un des derniers guitar hero de ce siècle. Celui-ci apparaît fréquemment auprès de pointures comme Clapton, Brian May ou Black Eye Peas. Michael Jackson l’a même embauché une dizaine de fois !!
Il sera épaulé par Izzy Stradlin (sosie de Bruce Springsteen en plus sale) à la rythmique. Izzy écrira pas mal de textes personnels et rudes comme un gant de crin sur cette galette.
La basse sera maltraitée par Duff McKagan, qui cherchait un groupe punk aux accents rock 70. Il tombera sur ces mecs chelous aux cheveux longs. Ça fera bien l’affaire, puisqu’il est le dernier membre encore dans la formation actuelle(!)
Derrière les fûts, un bûcheron nommé Steven Adler, un ami de Slash qui sera viré 3 ans plus tard pour avoir trop plongé dans la dope et être devenu ingérable.
A propos d’ingérable, on en parle, du chanteur? Axl Rose, une enfance troublée entre violence conjugale et église Pentecôtiste, développe très tôt un penchant pour le chant, les gardes à vue et les émeutes. Souvent à l’origine des soucis judiciaires du groupe, il est devenu un cauchemar pour ses collègues et les organisateurs de shows.
Pendant l’enregistrement de Apetite, toutes les chansons sont captées en live, en une seule prise, pour ne pas perdre le côté «vivant» du truc. Seuls quelques solos et les effets sonores seront rajoutés la nuit par Slash, qui veut faire un bijou de ce premier opus.
Ah oui, et pendant que j’y pense, la pochette a été changée au bout de six mois, jugée trop malsaine et choquante pour MTV qui refusait de faire la promotion du disque. Jugez par vous-mêmes…
Du coup, « Welcome to the jungle » décrit le chaos des grandes villes, comme L.A, ou New York où un S.D.F aurait crié au chanteur qui faisait de l’auto stop : « You know where you are ? You’re in the jungle, baby, you’re gonna die! » Rose gardera cette phrase pour écrire cette chanson. Anecdote piquante, n’est-ce pas, chers trappeurs?
On observe déjà la richesse musicale et les influences de tous les membres, et cette voix, my god! Ces notes qui montent toujours plus haut, avec force et justesse! Axl rivalise avec la Gibson Les Paul (la guitare, amis gamers) de Slash sur une grande partie de l’album, c’est tout simplement incroyable!
A l’écoute de « It’s so easy » il me vient brutalement à l’esprit que mon jeu de batterie depuis quelques temps se rapproche du père Adler. Curieux comme le temps fait son job.
Ce morceau hard/punkifiant décrit la facilité qu’offre le rock n’roll à se faire des nanas et conduire bourré. Du Jean Paul Sartre sans le côté chiant, quoi. Duff McKagan en est l’auteur, on y sent la patte du gars qui s’y connaît!
Encore un coup de la divine Providence, il y avait dans les boutiques de liqueurs de L.A un vin infâme qui pouvait soûler toute une cantine pour pas cher, le Night Train Express. Celui-ci servait de breuvage de base à nos chers amateurs de grands crus, et après une soirée arrosée à cette piquette, ils écrivent « Nightrain », troisième extrait du disque. Tout le groupe est crédité sur ce titre, chose rare, mais facilement explicable : Je suppose que chacun avait son rôt à dire.
Sur le 4ème titre, Izzy Stradlin montre qu’il a du talent pour concocter un texte en plus de jouer de la pelle à 6 cordes. Il nous pond « Out ta get me », un morceau que j’aurais aimé voir chanté par Johnny Cash, tellement il semble venir des profondeurs. Il sent à la fois la ville et le bayou, peut-être à cause de cette cloche sur la partie batterie. Encore un sujet à débattre entre érudits autour d’un lait de chèvre. Tiède, pour moi, merci.
Au dessus de la mêlée, « Mr Brownstone », toujours écrit par le gratteux Izzy, est bien meilleur que d’autres titres, car plus sérieux. Un passage chez l’addictologue en direct sur galette: « I used to do a little but a little wouldn’t do it, so the little got more and more… »
Ce Mr Brownstone est une référence flagrante à l’héroïne prise par un paquet de musiciens qui tournent en permanence entre studio, scènes et tour bus. Axl, qui jure avoir tout arrêté lorsque le groupe fut connu, laisse la substance derrière lui à la fin de la chanson. A écouter en famille juste après « Brown Sugar » des Rolling Stones!
Et la suite est simplement géniale. « Paradise City », qui a fait le bonheur des développeurs de jeux de guitare comme de simulation de bagnoles (Burnout Paradise), arrive comme une fleur, d’un riff clair égrené par Slash et la chorale des petits Axl chante le refrain en harmonie. Une vraie intro de film, bordel de moi! Ce titre est incontournable au point d’avoir été classé à la vingt et unième place des 40 meilleures chansons Metal/Hard Rock.
Pour autant, je n’arrive pas à savoir si le texte est positif ou négatif. En fait, il est juste VRAI. En épluchant les lignes, on se rend compte que cette ville est dure, qu’il faut y faire sa place, mais qu’elle est belle et généreuse si on s’en donne la peine. Pour un temps seulement. Les Guns ont compris et digéré cette cité tentaculaire qu’est Los Angeles. Et le montrent.
«My Michelle» est bougrement différent du Michelle des Beatles, toujours aussi beau, mais tellement niais et lisse comme une fesse, comparé à ce chant de rédemption. Ici, Rose et Stradlin essayent de faire décrocher une pauvre gamine accro à l’héroïne (encore, oui je sais, c’est un sujet récurent dans le rock) pour sauver leur relation amoureuse. Pas sûr que les litres de whisky engloutis lors des tournées soient un super substitut pour la p’tite Mimi, mais bon, ils ont au moins une belle chanson au final. Tout n’est pas perdu.
Et Stradlin, qui est décidément en forme, nous envoie «Think about you», déclaration d’amour. Qui a le mérite de se fendre d’un refrain très mélodique, avec moult guitares folk, ce qui montre donc que les Guns ne sont pas que des branleurs de manche bourrés aux amphèt’ et rotant leur vin à longueur de journée…
La suivante part d’une blague. En studio, Slash avait pour habitude de faire rire Izzy Stradlin avec cette mélodie d’exercice toute bête, puis un jour, Axl est venu avec un texte qu’il avait écrit pour sa petite amie de l’époque, Erin Everly (fille de Don Everly, des Everly Brothers, pionniers du rock). Le chanteur termine l’écriture en deux heures et la propose au groupe. Les zicos s’en foutent royalement et acceptent en se disant que ça remplira l’album. Voilà l’origine de «Sweet child o’mine», seul single classé numéro 1 de l’album.
«You’re crazy» est une bombe de rapidité, qui rappelle à Tonton un « Stone cold crazy » de Queen de derrière les fagots. Il y a cette urgence, ce côté punk qui n’échappe pas aux fans de deux-temps et riffs nettoyés à la serpe! Et la voix qui ne cesse de monter dans les aigus, ferait tomber la moustache du père Mercury…
Le morceau suivant est tout aussi poétique, avec ce guiro (instrument caribéen qui reprend le criquet) qui semble joué à la braguette. Cette jolie chanson nommée « Anything goes »est tout simplement une proposition incandescente, du genre: «Tu ne sais pas quoi faire ce soir, j’ai quelque chose de dur à te proposer…» Le texte ne dépasse pas les dix lignes…mais attendez…Juste ciel! Guns n’ Roses vient d’inventer le sexto!
Mieux encore, le dernier méfait du disque, s’il fallait encore démontrer que les Guns sont de vilains garnements, contient des sons inhabituels. En effet, sur « Rocket Queen », Axl voulait des gémissements féminins lors d’un pont instrumental et ne trouva rien de mieux que de s’envoyer en l’air avec l’ex de Steven Adler, le batteur. Ladite girlfriend a trouvé l’idée sympa et l’ingénieur du son a ainsi pu capter 30 minutes d’ébats amoureux dans le studio. Adler, l’apprenant bien plus tard, tombera un peu plus dans l’alcool et la dépression, humilié par son frontman. Une grande famille, la musique, qu’on vous dit!
Et c’est sur ce tendre Marivaudage que vient se fermer le premier opus des Californiens, propulsés en moins de deux ans au premier rang des héritiers du Rock. Héritiers qui, par abus divers et successifs, par leur ego, se transformeront en parodie de groupe avant de connaître une déchéance, difficilement supportable pour Axl Rose qui tentera de sauver le navire, avec Chinese Democracy (20 ans après « Apetite » et…10 ans de studio).
Aujourd’hui, le groupe se reformerait à certaines occasions, malgré les mésententes passées et Rose a remplacé Brian Johnson au sein de AC/DC, forcé de quitter la scène.
Il nous reste ce génial premier album, bourré de testostérone et de vapeurs suaves, gorgé de malt frelaté et de filles faciles. Mon adolescence fut décidément un film à la B.O parfaite.
ALBUM EN ECOUTE INTÉGRALE
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