Du 9 au 14 juin, le festival Aucard de Tours fête ses 30 ans. A cette occasion, nous avons interviewé Enzo Petillaut, le chargé de production du festival qui a répondu sans langue de bois et nous a révélé quelques exclusivités, qui ne concernent pas que Aucard !
Davy Croket : Bonjour Enzo, peux-tu expliquer aux non-tourangeaux pourquoi ce festival s’appelle Aucard ?
Enzo Petillaut : Le 21 juin 1986, Radio-Béton décide d’organiser son premier festival en plein centre de Tours, à la suite de son interdiction d’émission. 12 groupes pendant 12 heures et pour un budget de 12 000F. Le festival prend sa base sur l’île Aucard, entre le parc Radegonde et le château de Tours. Le nom de l’île et le gout des jeux de mot facile ont donné le nom au festival de manière toute naturelle !
Quelle est la philosophie de ce festival ? Son empreinte musicale ?
Ce festival est la retranscription live des musiques défendues toute l’année sur les ondes de radio Béton. La programmation est donc résolument alternative. Le festival a un fort passé rock et punk, on en retrouve toujours la trace, 30 ans après, même si le festival comme la radio ne s’est jamais fermé aux nouvelles esthétiques et a même toujours été plutôt avant-gardiste.
Par exemple, le premier concert de NTM à Tours, c’est Béton ! Cette radio pourtant punk, n’avait pas peur du rap à l’époque, bien que ce courant n’était que très peu représenté dans les salles de concert.
Le tarif du festival, très abordable, montre également que nous sommes dans un esprit d’ouverture et de découverte.
Toujours dans cet esprit, nous prenons le parti de ne jamais révéler les horaires de passages en amont. Il faut se rendre à l’intérieur de l’enceinte du festival pour les découvrir, chaque soir. Le public ne comprend pas toujours pourquoi nous faisons ça, mais c’est pour éviter que les gens n’aillent voir que les groupes qu’ils connaissent et pas les autres. Nous essayons vraiment de provoquer la surprise et la rencontre, et souvent ça marche. L’année dernière, beaucoup de gens se sont pris une énorme baffe sur Murkage par exemple, alors que personne ou presque ne les connaissait.
Cette année, c’est la 30ème édition, et ce thème s’est imposé de lui-même ! On a encore cette réputation de radio « punk à chien », et on aime bien en rire et en jouer !
Le leitmotiv du festival, cette année, est « Ni dieu Ni maître », peux-tu nous dire pourquoi ?
Chaque année, le festival à un thème, qui influence la décoration du site. On travail beaucoup là-dessus. Les spectacles d’arts de rue, les déguisements des bénévoles et parfois un peu la programmation musicale. Cette année, c’est la 30ème édition, et ce thème s’est imposé de lui-même ! On a encore cette réputation de radio « punk à chien », et on aime bien en rire et en jouer. Cette maxime résolument anarchiste va dans ce sens. On a décidé de ce thème en septembre, mais les événements de janvier ont aussi fait résonner tout ça d’une manière encore différente. J’ai hâte de voir ce que l’équipe déco et les spectacles d’art de rue vont en faire. Ça devrait être très intéressant, et provocateur comme d’habitude !
Avant d’être chargé de production, as-tu été festivalier d’Aucard ? Si oui quels souvenirs en gardes-tu ?
J’ai été festivalier d’Aucard dès que je suis arrivé à Tours pour mes études, en 2007. C’était la dernière année où le concert du samedi était gratuit. C’était qu’une seule gigantesque scène, avec pas loin de 10 000 spectateurs. Après, le festival à pris la forme que l’on connait maintenant. Je me suis tout de suite attaché à ce festival, très accessible par son prix et à dimension vraiment humaine. J’y ai pris quelques baffes musicales inattendues, comme ce concert de Beat Torrent, bien avant qu’on les voit partout, c’était une grosse folie dans un grand chapiteau à moitié vide ! Et puis, c’est clairement le rendez-vous de la jeunesse tourangelle, on y retrouvait tous les copains chaque année, pour faire la grosse fête pendant 5 jours !
Comment es-tu devenu programmateur d’Aucard ?
En 2007, j’ai monté une association à Bourges avec des copains : l’association Faut qu’ça Bourges. Jusqu’à l’année dernière encore, j’étais le président et programmateur de l’association, j’ai donc fait mes premières armes là-bas, sur le tas. Je suis arrivé à Béton d’abord en tant que stagiaire, pour finaliser mon master 2 en médiation culturelle. Au bout d’un mois de stage, la personne qui occupait le poste est partie pour travailler au Temps Machine. Je me suis donc retrouvé un peu livré à moi-même, mais grâce à mon expérience dans Faut qu’ça Bourges, j’ai réussi à n’être pas être trop perdu. Comme ça s’est plutôt bien passé, j’ai été embauché par la suite. Je suis vraiment arrivé au bon moment, j’ai eu beaucoup de chance !
Quelles contraintes et quels avantages y a-t-il à être programmateur de ce festival ?
La principale contrainte, c’est clairement le budget. Aucard a des prétentions de programmation pas toujours en accord avec son budget au ras des pâquerettes, mais on finit par s’en sortir ! Il faut aussi composer avec l’historique du festival, et la sensibilité des bénévoles et de l’équipe. Si je mets pas de gros rock ou de punk dans la prog, j’me fait lyncher ! Mais le gros avantage, c’est qu’on n’est pas non plus à la course à la tête d’affiches. Une grande partie du public viens à Aucard pour son ambiance unique, la programmation n’est que secondaire. Du coup, on peut se concentrer sur la qualité plutôt que la notoriété.
J’essaye au maximum de mettre des groupes coups de cœur de la radio sur scène, et aussi de choisir des live vraiment solides, que j’ai déjà vu auparavant. L’idée étant que les gens viennent pour un groupe ou deux, et se prennent des grosses baffes sur tous les autres. C’est aussi comme ça qu’on fidélise notre public, beaucoup font confiance en la programmation et on voit de plus en plus de gens accepter de ne rien connaître et découvrir. On voit pas trop ça sur de plus gros festival, comme Terres du Son par exemple. Si les gens ne connaissent pas les groupes, ils ne s’y intéressent pas, c’est dommage même si c’est une réaction humaine.
Quand on est chargé de production d’Aucard, on s’occupe seulement de négocier la venue d’artistes ou on met la main à la patte à d’autres activités ?
Je m’occupe aussi des plannings, de la location du matériel, de la gestion des contrats d’artistes et de leur accueil. Et comme je suis le seul salarié à l’année, je touche aussi pas mal à la communication. Je m’occupe aussi de la programmation avec Pascal Rémy, un bénévole depuis très longtemps à ce poste. Je ne suis pas obligé de le faire, mais c’est clairement ce que je préfère dans ce taff, et j’y ai pris une part très importante assez rapidement. Avec Pascal, on se complète bien, il a une bonne vision de l’historique du festival et connait les attentes des expérimentés. De mon côté, je fais plus le lien avec les artistes défendu à la radio, et j’apporte aussi une sensibilité artistique différente quant à mon âge.
Comment arrive-t-on à faire venir The Shoes lorsqu’on est un festival modeste ?
On a dû faire baisser de moitié le prix que The Shoes demandaient ! C’est pas toujours facile, ça marche pas toujours, mais on a quelques arguments : notre prix d’entrée, notre histoire. Pour Les Wampas par exemple ça a bien aidé. Ils étaient là en 1986 pour la 3ème édition du festival, y’a un certain affect !. Et puis, le festival commence un mardi. C’est souvent plus facile de négocier des tarifs en début de semaine, où les groupes reçoivent moins propositions.
Peut-on avoir quelques indices sur le reste de la programmation à venir ?
Non [rires] ! Y’aura un grand retour d’un groupe anglais que j’écoutais beaucoup quand j’étais au lycée, ça va en rendre fou plus d’un je pense. Y’aura aussi plus de groupe étranger que sur la 1ere annonce. En tout cas, y’a encore du lourd à venir, ça promet d’être un très bel anniversaire !
Quel artiste rêverais-tu d’accueillir ?
The Orwells et Fidlar. Ils ont jamais étés en tournée française pendant le festival encore, mais je ne désespère pas. Deux autres artistes que j’aimerais faire venir aussi, c’est Totally Enormous Extinct Dinosaurs, et Disclosure. Et enfin, un rêve qui en restera probablement un toute ma vie à moins de bosser aux Eurocks ou à Rock en Seine un jour : Gorillaz et Arcade Fire !
Imaginons un scénario catastrophe : la Mairie, par on ne sait quel décret imaginaire, obtient le droit de programmer toute une soirée d’Aucard, quels artistes redouterais-tu qu’elle invite ?
Mon dieu ! Je ne sais pas, Yannick Noah ? Ceci dit, on rigolerait bien sur saga africa.
Aura-t-on droit à une soirée spéciale Ilôts Electroniques cette année, comme l’année précédente ?
Les îlots et Aucard sont deux structures différentes. L’année dernière et comme chaque année, Aucard propose deux cartes blanches à des asso ou des label ou des structures diverses. Comme on finissait un dimanche en 2014, les îlots ça tombait pile poil ! Cette année, les cartes blanches seront à une structure tourangelle qui fait un échange d’artistes locaux avec le Japon. On aura donc le droit à du japonais ! Et on a donné la seconde à la FRACAMA. Mais les îlots, fidèlent à leur amour du dimanche, vous réservent quand même une petite surprise pour le 14 juin, si y’a encore des survivants après 5 jours d’Aucard ! Enfin, moi je pourrai pas en profiter, je serai entrain de démonter les chapiteaux !
Peut-on imaginer un festival techno à Tours, sous l’égide des Ilôts ?
On peut l’imaginer oui. Mais pour le moment, les îlots ne sont pas prêts. On s’apprête déjà à faire un été marathon, et on sait que l’organisation va prendre du temps. Organiser un festival, c’est une toute autre économie, une organisation énorme. On n’est pas assez gros pour ça encore. Mais un jour peut-être, qui sait ?
Pour en revenir à Aucard, quels sont les objectifs pour ce festival, sur un moyen-long terme ?
Surtout, ne pas grossir, et rester sur cette taille et cette formule ! Si on grossit, ça veut dire coût technique plus gros, donc augmentation du tarif d’entrée, donc rechercher du plus gros groupes pour que le public continue à venir, etc … ce serait perdre l’âme d’Aucard. L’équilibre actuel est vraiment idéal je trouve.
Quels sont tes objectifs professionnels en tant que programmateur aujourd’hui ? Aimerais-tu programmer d’autres festivals, si oui des quels rêves-tu ?
Je suis très bien sur Aucard de Tours, mais c’est vrai que me frotter à de plus grosses jauges et de plus gros budgets, ça me tente. Mon rêve serait de rejoindre l’équipe de programmation du Dour festival !
Merci Enzo et à dans quelques jours pour la suite de la programmation d’Aucard…
Ce qu’on sait de la programmation, aujourd’hui :
Les Wampas, The Shoes, Chill Bump, Verbal Razors, Peter Pitches, Ultra Panda, Agoria, Asocial Club, Isaac Delusion, Slow Joe & the Ginger Accident, Jessica93, La Vache qui rock, A state of mind, The Geek x Vrv, Cotton Claw…
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