Les 10 ans du festival Terres du Son, célébrés sous la pluie, ont été un calvaire pour les novices ; un léger handicap pour les fêtards moyens ; un régal pour les punk-à’ch, ravis de déchaîner leurs déliriums tremens dans des combats de boue ; une aubaine pour nous les trappeurs du son qui ne cesseront, trois jours durant, de s’émerveiller de leur dernière trouvaille métaphorico-aquatique pour leur article. Voici, en exclusivité pour Davy Croket, une synthèse de ses quatre expériences.
Mais si d’office nous insistons sur les piètres conditions météorologiques, cela ne doit en aucun cas occulter la franche réussite de la dixième édition du festival le plus fréquenté de l’Indre-et-Loire. Le record d’affluence a été battu, atteignant les 35.000 entrées (et non pas 40.000 comme cela a été annoncé par l’organisation qui a gonflé ses stats avec les 5.000 passagers au Village Gratuit, vilains gourmands !), 3.000 de plus que l’an dernier, une véritable prouesse au regard d’un temps novembral, giboulesque, qui en aurait décidé plus d’un à préférer un plateau-télé devant les deux ultimes matchs de la Coupe du Monde de football.
Vendredi, 18h
Nos bacchanales modernes s’ouvrent sous la prédication de Winston McAnuff, prêtre de l’amour et de la sagesse rasta. L’accordéon solennel et la voix alternant suavité et ardeur amène les premiers spectateurs au recueillement, à moins que cette apathie ne doive s’expliquer par les nuages noirs et intimidant qui ont envahi le ciel de Candé. Les premières gouttes d’eau tombent. Comme en 39, des signes avant-coureurs laissaient distinguer les collabo des résistants : le contraste ne trompe pas entre la masse de festivaliers agglutinés sous des bâches et la horde de golems enhardis par le hiérophante McAnuff,. Le fameux Wha Dem Say retentit alors, pas de surprise par rapport à la version studio, mais nous sommes touchés par la gravité et l’extrême concentration de McAnuff Senior qui nous ramènent, forcément, au deuil que celui-ci a dû porter suite à l’assassinat de son fils Matthew l’an dernier.
L’insoutenable légèreté de l’être nous fait fuir ces chants mortuaires pour des mélodies plus heureuses. Nous voulons rejoindre la « Bulle », une nouvelle scène créée l’année précédente, mais nous peinons à la trouver. Sa situation a été modifiée et nous ne serons pas les seuls à se trouver un peu perdus, ce qui expliquera peut-être la quasi-désertion des lieux ce soir. Dommage, car c’était tout le beau-monde de la techno tourangelle qui s’était donné rendez-vous ici pour promouvoir l’événement bi-hebdomadaire et dominical des « Îlots électroniques ». Arno N’Joy, Goldigger, Guy L’8tr, et quelques autres figures qui, ces derniers temps, animent les dimanches tourangeaux, ont malgré tout profité de ce décorum original, trois jours durant, pour distribuer quelques fulgurances bien senties.
Au loin, les synthétiseurs et les batteries de Woodkid sonnent le ralliement des fidèles de cet electro-pop new-age. Des observateurs nous prédisaient un spectacle lumières et sons exceptionnel, mais la prestation est restée somme toute classique. Pour ainsi dire, notre épine dorsale n’a pas frétillé.
Une faille dans l’espace-temps nous amène directement au samedi : pardonnez ces non-dits, il y a des ellipses nécessaires dans les Live Report des trappeurs du son. On affiche complet pour ce samedi soir et c’est une première historique pour le festival. On assiste même à d’improbables bouchons de piétons dans la montée qui mène au concert de Matthieu Chedid. Arrivés au concert, nous mesurons l’ampleur de l’audience. Celui que le magazine Rolling Stone considérait dans l’édition américaine de mars dernier comme « un des derniers guitar hero » agrémente son entrée d’une déferlante de riffs tranchants. -M- nous fait son répertoire familial, aucune surprise, que des tubes, mais quelques impros suintant le funk et le blues qui donne franchement envie de se taper une boule à facette. Une surprise dans ce concert : l’entrée de Ben l’oncle Soul, l’enfant du pays qui geindra un gimmick simple voir benêt « Do you feel good ? » mais qui, en répondant par l’affirmative, suffira à nous transporter.
Nous nous éclipsons pour suivre la prestation du jeune Fakear, dj trip-hop dans la lignée des Bonobo, Wax Tailor etc. Le nouvel album, un peu tendre à notre goût, laisse malgré tout entrevoir un fort potentiel. Le français ne nous décevra pas et distillera un electro-beat planant, très contrôlé, sans fioriture. La performance vocale de la jeune artiste RnB qui l’accompagnera sera toute aussi notable, avec pour caractéristique un grain vocal afro lévitant qui achèvera de nous séduire.
Extirpés du microcosme moite et hypnotique installé par Fakear nous sommes attirés par le champ magnétique produit par le groupe electro-hip-hop Gramatik. Nous connaissons cette formation et nous attendons au point d’orgue de la soirée avec leur set. Les slovènes font le taff attendu et électrisent la foule, manipulant les molécules funk réagissant dans l’air afin d’agiter des festivaliers désarticulés, désagrégés, prêts à se dissoudre, se fondre et se perdre dans l’allégresse. Nous ne sommes plus que des molécules dansantes et, dispersés par le vent, nous rentrons gentiment nous évanouir.
Le lendemain, dernier jour, le vent et la pluie nous étreignent de concert pour un nouveau concert : celui de Ky-Mani Marley qui se substitue à son père aussi bien que l’aspartame au sucre. C’est-à-dire que certain n’y verront pas la différence et d’autres trouveront cela particulièrement écœurant. « One Love », « Get up Stand up », tout y passe… L’alléger, c’est bien aussi.
Les sirènes aigues de groupies hystériques aux abords de l’entrée du festival nous indiquent l’arrivée imminente de Bertrand Cantat et de son groupe Détroit. Sceptiques, nous nous attendions au récital clichéïque d’un poète maudit, d’un monceau de rockstar dépressive et encore une fois, l’avenir nous apprendra à remuer sept fois nos langues de putes avant de porter un jugement de trappeur. L’interprétation et le talent vocal du Bèglais sont saisissants et nous confondent dans une époque « Europe 2 » que nous croyions perdue lorsqu’il entonne le répertoire de Noir Désir…
Ces mêmes années 90 qui ont vu naître la musique techno. Vitalic a fortement contribué à l’arrachement au néant de cette nouvelle culture. Ils en sont les fiers représentants en cette clôture de festival ; ils sont venus haranguer la foule par des sentences tech-house survitaminées avec la maîtrise, le sang-froid et l’élégance propres à tous les pionniers. Les flashing lights des projecteurs nous transcendent, on aurait voulu que cet électrochoc de tous les instants ne meurt qu’avec la nuit.
Hélas, Terres du Son ferme encore ses portes trop tôt, à moins que décidément, trappeurs du son, nous ne soyons jamais rassasiés de bruits et de vibrations. Allons donc danser en off avec les punks’ à chien !
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