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Bennett Miller revient avec un 3ème long-métrage, Foxcatcher, nouvelle adaptation d’un fait divers après Truman Capote et Le Stratège. Prix de la Mise en Scène à Cannes, presse dithyrambique, Mike Ruffalo avec une calvitie et Steve Carrel en vieillard ventripotent, il n’en fallait pas plus pour attirer le trappeur à queue frétillante dans les salles obscures.

On entre in extremis dans l’ambiance décalée du film avec la ganache bougonne de Channing Tatum (omniprésent dans le paysage cinématographique actuel),  exprimant de manière laconique, devant une audience de mioches inattentifs, sa fierté d’être médaillé d’or Olympique dans sa discipline, la lutte, pour son pays, The United States of Goddamn America.
Décalée, parce qu’à contrario de ce qui se fait dans l’industrie audiovisuelle amérciaine où l’action et les dialogues s’enchaînent frénétiquement à une vitesse ahurissante ; les plans sont longs, les dialogues espacés, ce qui accorde aux regards et aux attitudes la primauté et l’éloquence.

A la manière dont Mark Schulz (Tatum) se déplace lourdement ; à la façon dont il bouffe ses pâtes chinoises en regardant une peinture représentant le drapeau américain ; à le voir à l’entraînement, impatient dans ses gestes, on sait qu’il y a un malaise chez cet homme. Un mal-être que son frère-entraîneur (Mike Ruffalo dégarni)  semble avoir toujours su canaliser, lui qui le palpe, le frictionne, l’étire avec des gestes paraissant automatiques, connus, répétés, habituels. Mais ces rituels semblent ne plus suffire et on sent en Mark, au physique d’une brute massive, une faille se faire de plus en plus béante jusqu’à crever l’écran.

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On comprend les personnages de ce film à rebours. La vie maussade de Mark, que l’indifférence générale autour de ses prouesses sportives semblent blaser, bascule dès lors qu’un nabab de l’industrie américaine lui envoie un jet privé pour s’entretenir avec lui. Mark en tenue Levis façon man of the street à la Bruce Springsteen, débarque  dans la propriété victorienne  des du Pont, glorieuse famille américaine, anoblie selon les règles du pays, par sa réussite dans les affaires. Mark rencontre alors John du Pont (Steve Carell, grimé en Mr. Burns) qui lui expose le projet de faire de lui, le plus grand lutteur et citoyen américain au monde.

C’est l’Amérique reaganienne, le rêve américain selon lequel, avec un peu de gnaque et de flouze, tout est possible. Mark, trouve enfin le père qu’il n’a jamais eu, l’attention et la reconnaissance dont il s’est jusqu’ici senti lésé. Le film à l’air d’avancer lentement vers un énième dénouement édifiant dans ce style american dream  mais c’est un faux rythme qui s’installe, nous berce pour mieux nous tromper…

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C’est en fait une histoire qui montre les limites de ce modèle basée sur la compétition et le dépassement de soi, dénaturé par l’argent et la communication outrancière. L’amour du drapeau n’est qu’un leurre derrière lequel se cache la course éperdue à la domination de l’autre. Petit à petit, les rapports se complexifient ; les manipulations et les tensions sexuelles se reflètent dans la pâleur crue de la pellicule.

Comme dans Truman Capote, le réalisateur baigne son spectateur dans des lumières décolorées, délavées, dans des contre-jours, des clairs obscurs qui signifient un calme trompeur, une vérité sous-jacente derrière les apparences.

Bennet Miller filme à merveille les corps des lutteurs qui s’affrontent et parvient à révéler leur personnalité dans leur style de lutte. Le sons des corps qui s’entrechoquent est amplifié et on sent presque la sueur des athlètes nous éclabousser le visage. La bande son a été confectionnée avec soin et à l’instar des autres procédés cinématophraphiques de ce film, nous émeut tout en retenu, en sobriété, sans artifices.

La performance du trio d’acteur est remarquable. Tatum est décidément l’homme en forme d’Hollywood, bien plus profond qu’il ne veut le montrer. Ruffalo est dans son rôle et incarne parfaitement cette Amérique démocrate douce, finalement corruptible. Carrel est impeccable quoique parfois un peu emphatique, derrière sa couche de maquillage et sa prothèse nasale qui abrite, certainement, le futur Oscar de meilleur acteur.  

Parce que même dans un film sobre, in America, il en faut quand même un qui fait le show. Paradoxal dans le personnage qu’il incarne, parfois énervant pour les traits qu’il force mais indéniablement bourré de talent, ce personnage incarne son film et son pays dont il est explicitement une incarnation. N’hésitez pas à  y aller, mais prévoyez 2h30 devant vous (c’est toujours bon à savoir, nous pour qui la patience coûte).

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique et Critique Ciné.

Diplômé en littérature comparée et communication, a étudié la naissance du fantastique en littérature et sa transposition cinématographique ; chroniqueur cinéma et musiques actuelles sur le web.

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