Je n’ai vu Moodymann mixer qu’une seule fois, mais quelle fois ce fut : un set à rallonge dans un club berlinois rempli à craquer de fêtards de tout les âges et de toutes les nationalités, dont une importante proportion portait des sweats suants floqués du logo de Black Mahogani. Alors qu’il semblait parti pour balancer des classiques house pendant toute la soirée à un public complètement acquis à sa cause, il a brusquement passé un We Will Rock You à peine remixé, avant de repartir sur quelques morceaux de soul. Le tout ponctuellement interrompus par des morceaux de Nirvana ou des éclats de voix de Beyoncé.
Il mixait sans avoir l’air d’en avoir quelque chose à foutre, écouteurs négligemment enfoncés dans les lobes, cernes mauves particulièrement marquées sous les paupières. De ce que j’ai lu ou entendu à droite à gauche, les prestations de Kenny Dixon Jr, sont toutes de cette trempe : des sélections éclectiques apparemment bancales mais finalement diablement jouissives, servies avec une nonchalance déconcertante.
La tracklist de ce 52ème DJ Kicks ne fait pas exception à la règle : y sont réunis 30 morceaux (pour autant d’années de carrière) n’ayant rien de commun sinon qu’ils sont tous au moins sympathiques. S’y bousculent, dans le désordre, Dopehead, discret acolyte de Danny Brown, Les Sins (side-project de Toro Y Moi), Nightmares On Wax, Cody Chesnutt, Flying Lotus ou encore Little Dragon, sans oublier BTSU, le hit du mystérieux Jai Paul. Mais on y trouvera aussi des cascades de cordes latines, de la soul langoureuse ou encore une house tapageuse.
Dans une conférence intitulée Le Cinéma et la nouvelle psychologie, Merleau Ponty, définissait la musique comme une « forme temporelle », dans le sens où « chaque note ne compte que par la fonction qu’elle exerce dans l’ensemble (…) un seul changement dans [leurs] rapports suffit à modifier la physionomie totale de la mélodie.».
Cette remarque semble particulièrement pertinente pour un mix de cette sorte : nul besoin d’épiloguer sur les atomes qui le composent, c’est leur agencement qui définit la signification de la structure. En l’occurrence, celle-ci narre une promenade dans le désert industriel de Detroit au volant d’une Impala tonitruante. Tout un programme.
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