Le temps est un concept surprenant et fantastique: il fait vieillir les vivants, transforme les modes et altère toute chose. Selon l’instant observé dans sa ligne temporelle, un vin sera un nectar gouleyant ou une infâme piquette, une danse sera au pic de la tendance ou complètement ringarde, un militaire sera un sauveur pour son peuple ou un perfide dictateur.
De la même manière, le groupe Aerosmith sera le ballon de baudruche commercial qui remplit les stades et les émissions de télé-crochet, ou l’expérience live la plus excitante. Il y a un gouffre entre les deux, et je pense sincèrement que les excès en tous genres ont rendu le combo de Boston moins regardant sur ses choix artistiques au fil des années.
Au début des 70’s, Steven Tyler (chant/piano/harmonica) et Joe Perry (guitare solo) – surnommés the Toxic Twins, au regard de leur consommation industrielle de poudre de Perlimpinpin- écrivent et composent la majorité des titres, tels Lennon-McCartney mais un poil plus destroy… Autour des deux frontmen, la merveilleuse section rythmique est assurée par Brad Whitford (guitare), Tom Hamilton (basse) et Joey Kramer (batterie) – qui a l’idée du nom du groupe en 1970. Depuis sa création, le groupe a opéré deux changements de personnel, les deux gratteux quittant l’aventure au bout de dix ans, pour revenir finalement quatre ans plus tard. La cure de désintox familiale aura lieu entre 86 et 88 (tous les membres y passeront) et la renaissance qui en résulte nous laisse à penser que la drogue, ben c’est mal. Pensez à moi pour les prochains César, merci.
Tout ça pour te dire, cher amateur d’intros gargantuesques, qu’Aerosmith nous a gratifié au début de son existence d’un marqueur temporel indélébile en 1978.
A la fin de sa première décennie, Live! Bootleg rassemble les meilleurs titres joués entre 77 et 78 (exceptions faites pour I ain’t got you et Mother Popcorn, deux morceaux captés en 73) et a le mérite d’être édité sans effet, sans mixage, pour garder cet aspect brut, mais aussi prendre de vitesse les pirates discographiques qui enregistraient les concerts et les diffusaient sous le manteau. Ces albums non-officiels d’autrefois qu’on appelle des «Bootlegs», référence à l’époque de la prohibition où l’on cachait les bouteilles de gnôle dans la botte pour éviter tout contrôle. D’où la pochette un peu dégueu, avec une tâche de café au dos. Cette compile de missiles blues-rock est la quintessence de ce que pouvait produire l’un des meilleurs groupes des 70.
Le son, quoique correct, est parfois égratigné de quelques fausses notes au chant (Back in the saddle) et approximations vite balayées à la six-corde (Dream on). Mais le résultat est bluffant! De la fraîcheur, du rugueux, de l’à-peu-près…une honnêteté que l’auditeur lambda ne connaît pas.
Nous avons pour la première fois l’occasion de nous retrouver dans un club avec le groupe en pleine bourre et ça remet les pendules à l’heure, rétrospectivement.
Avec la reprise de Walk this Way par Run DMC en 1986 (des gens bien en parlent, par là!), celle de Mama Kin par les Guns n’ Roses en 88 et le sample même pas dissimulé de Dream on par Eminem en 2002, le groupe maîtrise parfaitement son héritage et sa diffusion. De même que sa participation aux différents opus des jeux Guitar Hero et Rock Band. Avant ce spectacle boursouflé (le parc Disney ne comporte-t-il pas une attraction à leur nom?), il ne faut jamais oublier que Tyler, Perry et les copains sont de purs bluesmen qui ont poussé les murs du hard-rock jusqu’au shuffle (I ain’t got you) et au funk, baby! Ecoute Mother Popcorn, de James Brown et Pee Wee Ellis! La voix de Tyler se transforme à volonté, passant du medium caverneux aux aigus criards rappelant le Soul Brother en chef. Une parenthèse incroyable dans ce déluge de feu…
Les morceaux joués sur cette double galette sont issus des cinq premiers albums studios, sortis entre 73 et 77. Oui, fais le compte, y en a un par an. Et ces cinq là ont suffi à propulser les Bostoniens au rang de maîtres du hard-rock, et recordmen des ventes, par la même occasion. Ouvrant à leurs débuts pour Deep Purple ou Led Zeppelin, les poids lourds du circuit mondial, ils se retrouvent rapidement en tête d’affiche des festoches américains et à travers le monde. Ce n’est qu’avec le départ de Joe Perry que la tendance va s’inverser, avant d’opérer un come-back fracassant à l’aube des années 90. Ce double-disque symbolise la fin de la première partie d’Aerosmith, considérée comme la plus riche par les spécialistes en la matière.
De mon côté, j’ai «rencontré» cette musique avec la compile Big ones, sorti en 94, chez Geffen. Là, j’ai découvert les balades sirupeuses (pour draguer dans les 90s, rien de mieux que Cyin’ ou Amazing!!), le groove entêtant de Eat the Rich, et la voix cartoonesque de Steven Tyler. L’influence de ce groupe m’a suivi jusqu’à l’âge adulte, entre la puissance du riff et les pirouettes de diva post-Mercury/Jagger. Plus tard, c’est en farfouillant dans les vide-greniers et chez les disquaires sympas d’Agen que j’ai déniché les anciens artefacts d’avant 80. Et mon univers de fan a pris une autre dimension. J’ai découvert la joie de chiner, de chercher et m’abreuver à la source de tous les groupes que j’ai aimé.
La quête du premier album a commencé à ce moment-là. Aerosmith tient une place particulière dans mon cœur, puisqu’en découvrant leur œuvre sur le tard (bon, 94, quand même, hein!), je suis tombé amoureux d’une période musicale plus dense et foutrement plus inspirante! Sans eux, pas de retour aux sources, pas de blues et…pas de Back to the Roots.
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