Qui pourrait dire ce qui s’est passé à la fin des années 80 ? N’y avait-il pas assez de malheur dans notre pauvre monde? La tension au Moyen-Orient était déjà des plus palpables, notre président ré-élu accumulait les revers sociaux et l’Afrique affamée occupait la moitié des écrans de télé des classes moyennes françaises. L’Allemagne allait enfin cicatriser de sa plaie béante au cœur de la capitale Ouest.
Une succession d’événements musicaux initiés par des D.J teutons, comme la toute première Love Parade, réunissant 150 participants à Berlin Ouest en juillet 89 (la première d’une looooooongue série), embraye sur un courant musical né d’un croisement entre la techno, la disco (qui est également une création européenne des 70s, entre l’Allemagne, l’Italie et la France, cocorico!) et un spot de pub vantant du gel pour cheveux…
L’Eurodance vient de poser ses bollocks velues sur nos platines.
Ses héros du début s’appellent Snap! (Allemagne), Technotronic (Belgique), ou Black Box (Italie). La formule est TOUJOURS la même: Des producteurs/patrons embauchent des rats de studios à la pointe de la technologie qui composent des lignes de mélodies super accrocheuses montées sur basses hypnotiques et font enregistrer des chanteuses soul et des rappeurs. Les paroles sont interchangeables et sont totalement dénuées d’intérêt. Seul les BPM comptent et les hectolitres de sueur qui vont en découler…
Par la suite, le «produit» échappe à ses concepteurs qui sont payés à la pièce (et à la fronde), et non aux royalties, comme c’est le cas dans tous les autres styles de musique jusque là… les requins n’ont plus qu’à faire un casting sauvage et placer la chevelure féline d’une caissière de supermarché ou les abdos d’un barman (black de préférence) sur la pochette et devant les caméras. Le phénomène est lancé, les boîtes de productions vont lancer une machine infernale qui va poutrer toute la concurrence sur son passage, depuis les idoles (Johnny, Sardou, Aznavour, Phil Collins…) jusqu’aux meilleurs espoirs (Daho, Licence IV, Depeche Mode, the Cure…)
Ah oui ! Pour ne rien gâcher, toutes les chansons sont écrites en Anglais, comme ça, on touche tout le monde et les ventes sont décuplées. Pas de frontières pour la musique Kleenex! Poubelle européenne, zou!
Entre Ice MC (Think about the way), Fun Factory (dont le clip Close to you a le mérite de faire saigner des yeux ET des oreilles!), Whigfield (et son clip humoristico-sexy Saturday Night) et autres Double You (Please don’t go, mon dieu, quelle purge!), tous ces dignes représentants des années 90 nous ont accompagnés au collège, mes camarades et moi-même. Je l’avoue, il fut un temps où j’ai remué mon boule au son des synthés hypnotiques et au tempo indéfiniment bloqué à 120bpm…je plaide coupable, mais pour ma défense, je tiens à signaler que les radios diffusaient en priorité ce qu’on leur disait de programmer…ah, c’est encore le cas? Pardon. J’ai rien dit.
On a droit dès le début des années 90 à une convergence des facteurs aggravants : l’arrivée du CD dans nos salons (et de son petit frère énervant, le mini-cd 2 titres), la multiplication des émissions spéciales regroupant sur un seul plateau toute la «crème» de la production européenne. Grâce à M6 et les chaînes musicales qui débarquent sur les bouquets payants, les magazines du type OK Podium! et autres Star Club qui brodent des histoires sur ces potiches qui découvrent la célébrité, on découvre les vacances de Corona à Ibiza, Haddaway au Casino, John Scatman en gériatrie, Dr Alban en pleine consultation obstétrique…En ce temps-là, je pensais sottement que tout le monde était américain, Las! Même pas un british pour faire illusion!
La grand messe de cette mode décérébrée s’appelle Dance Machine et réunit entre 15 et 20 000 ados boutonneux à chaque édition entre 1993 et 1997. Une collaboration M6-Fun Radio. Merci, les gars. Vous me la copierez, celle-là.
Derrière tout ce cirque, quelques noms circulent en coulisse: Daniele Davoli (Black Box), Jo Bogaert (Technotronic), mais surtout Gianfranco Bortolotti, mi-squale, mi-producteur, à l’origine de Capella, qui avoue lui-même ne pas avoir de formation musicale, mais se permet tout de même de conseiller les compositeurs dans chacun de ses dix «studios-usines»… Il enchaîne les tubes et palpe une fortune en exportant ses poulains, chanteuses à géométrie variable, danseurs surdopés et collectionne les disques d’or.
Le public est conquis, ignorant à moitié que le play-back est la norme dans ce milieu pourri… Internet recèle quelques moments épiques où en pleine prestation, le micro s’allume, l’instru baisse (une blague de l’ingé son?) et l’on entend soudain comme un veau en train d’appeler sa môman sur scène.
La montée en puissance de ces pubs ambulantes font gonfler les têtes et les pétages de plombs sont fréquents dans le milieu. On arrange le tout à l’aide de pognon, d’opérations marketing et de soirées de gala (tiens, Gala, je l’avais oubliée, celle-ci…) où tout le monde s’apprécie et se poudre mutuellement le museau.
Un curieux virage s’opère en Janvier 96. Suite à la mise en application d’une loi des quotas, faisant remonter la diffusion des «chansons d’expression française» à 40%, les productions étrangères auront plus de mal à franchir les frontières radiophoniques. Attention, cette loi Toubon est à la porte du protectionnisme artistique, le ministre de la Culture Jacques Toubon ayant peur des dérives commerciales européennes et de l’appauvrissement de la culture française. En détail, il s’agit de promouvoir notamment les nouveaux talents ainsi que les nouvelles productions francophones, donc en gros, tout ce qui est sorti les 6 derniers mois.
Le résultat? 2Be3, Alliage, G-Squad et Poetic Lover sortent du bois en septembre 96. Bien joué, les mecs. Une génération de foutue.
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