Après le succès tonitruant de Game of Thrones, ou encore The Wire, la chaîne américaine HBO illumine à nouveau la petite lucarne avec True Detective. Dans une Louisiane moite et dantesque, le duo clair-obscur McConaughey – Harrelson se confronte à un serial killer mystique qui va bouleverser leurs vies. Davy Croket vous propose de traquer ce mythe, 0% spoiler garantie.
Qui sont Rust Cohle (Matthew McConaughey) et Martin Hart (Woody Harrelson), ces anciens détectives sous le joug d’une police des polices patiente et à la mine patibulaire ? C’est ce que True Detective se propose de nous faire découvrir, à travers d’incessants vas et viens spatio-temporels entre récits et actions, présent et passé, faisant fi de toute linéarité et étirant le temps jusqu’à nous en faire éprouver son immesurabilité.
Le 1er épisode pose les bases et film l’intégration d’un nouveau détective dans les rangs de la Louisiana State Police. Suspect parce que trop athée et trop intello pour une région animée par le fanatisme religieux, Rust s’avère pourtant être un élément redoutablement efficace, un Sherlock Holmes à la sauce nitzschéenne. Martin, flic sudiste traditionnel, bon père de famille (en apparence…) peine à comprendre les sombres fulgurances métaphysiques de son nouveau coéquipier et tentera, pour se protéger, d’y faire obstacle pendant ce qui sera un rendez-vous de la série, les trajets en voiture. Le spectateur comprend plus vite que Martin, le vers est déjà dans la pomme.
Les cordier philosophes et flics
La force de True Detective ne repose pas sur l’enquête à proprement parlé et le téléspectateur sera moins accro aux rebondissements scénaristiques policiers qu’à la vague torpeur dépressive et existentielle qui l’étreint à l’écoute des litanies de Rust, ce prêcheur du vide et de l’éternel retour.
Matthew McConaughey, fraîchement oscarisé, est dans tous les bons coups. Ses prestations dans Mud de Jeff Nichols, Magic Mike de Steven Soderbergh et Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée sont époustouflantes. Les silhouettes des personnages qu’il y incarne ont à chaque fois les traits épais et palpables d’êtres storybordés qui tentent de s’extirper du papier pour habiter le miroir de l’homme occidental moderne. Depuis Les Sopranos et Breaking Bad, les américains profitent de la largeur du format télé pour le développement psychologique des personnages. À l’image des téléspectateurs, brassés dans une époque d’importantes mutations, les héros n’avancent plus contre vents et marées animés par une certitude aveugle, n’ont plus rien des archétypes manichéens d’Hollywood et cherchent sans cesse à nous échapper dans le hors-champ de leurs vies intérieures opaques et intenses. Non loin de la figure éculée du poète maudit, Rust est un homme mystérieux et paradoxal qui pose des questions troublantes parfois avec brio (son plaidoyer contre l’individualisme de l’épisode 2 est un instant de tragicomédie mordant) parfois à la limite d’une emphase ridicule qui le rapproche d’un ado mélancolique et complaisant. Cependant de telles réflexions ne courent pas les ondes hertziennes. Comme les produits de consommation ont été détournés de leurs fonctions et ont pénétré les musés d’art dans les années 60, la série, initialement pensée par les chaînes de télé pour être bankable est devenue le laboratoire expérimental des artistes de l’audiovisuel. Ils ont revisité le feuilleton et grâce à son immense espace diégétique, ont inventé une nouvelle forme de narration.
Eprouver le temps dans toute sa longueur
La photographie a pleinement profité de cette reconsidération du temps. Après True Blood et Breaking Bad, le sud est de nouveau l’épicentre de tous les doutes humains. Les cotonniers et les lumières chaudes caressant les toitures en tôles des bicoques pourries de cet Etat miséreux des Etats-Unis comme si Nick Pizzolato, le réalisateur de la série, se demandait à l’instar de Flaubert, à quels sucs d’excréments devons-nous le parfum des roses ? Parfois contemplative, la caméra prend son temps pour sonder les recoins les plus noirs de cette contrée poisseuse et en dénicher les accents les plus poétiques comme la pluie de pollen sur les bottes d’une prostituée dans un camping-bordel. Parfois active, la caméra prend son temps pour capter la précipitation la plus extrême et décharger l’adrénaline la plus pure avec ce plan séquence vertigineux de six minutes qui accompagne de la manière la plus mimétique la percée de Rust dans un gang de narcotrafiquants. Un morceau de bravoure qui laisserait Spielberg songeur.
Fort sur les plans technique, artistique et scénaristique, True Detective est de la trempe de ces nouvelles séries qui ont fini par ressembler à leur grand-frère, le cinéma.
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