Chers z’amis, soyez-en convaincus, Green Day reste sans conteste un groupe qui aura incroyablement marqué ma jeunesse. Il a orienté mes pas vers le punk-rock et le côté fun et décomplexé de la musique rock (au moins autant que nos copains Nantais les Elmer Food Beat). Trois sales gosses décolorés qui tendent le majeur et se curent le nez devant les photographes, voilà la première image que je garde de Billie Joe Armstrong (chant/guitare), Mike Dirnt (basse/choeurs) et Tré Cool (batterie).

Ce mix parfait de conscience sociale et de liberté intellectuelle, voire régressive – on parle quand même de punk-rock, les enfants : la dure vie menée par les masses laborieuses, les jeunes livrés à eux-mêmes qui ont peu d’espoir, les parcours traumatisants et finalement, on comprend le besoin de lâcher prise (rien que le titre de l’album, hein? dookie=caca…) sur fond de bitures et de produits rigolos.

En 1994, le trio de Berkeley a déjà sorti deux premiers disques : 39/Smooth en 90 et Kerplunk en 91sur le label californien Lookout! Records avant d’aller signe chez Reprise, une major company qui va les éloigner de leur public d’origine, celui du 924 Gilman Street.

Ce centre de musiques alternatives (sorte de MJC chez nous) qui a vu grandir des groupes comme Operation Ivy, Rancid ou Offspring, réunit tout le public pop, punk, hardcore et ska de la ville, et alimente le berceau culturel de nos jeunes garnements. Mais lors de la signature avec la grosse écurie (fondée par Frank Sinatra et filiale de la Warner Music Group), Green Day va sans le vouloir tourner le dos à ce public qui va le snober… Billie Joe dira plus tard qu’ «il fallait aller au bout du processus et tenter le plus gros succès au monde…ou ce serait la plus grande défaite». Du coup, les p’tits gars aux cheveux verts vont se remonter les manches et nous chier (c’est le ca-cas de le dire!) l’album le plus vendu de leur carrière: Dookie !

Et bon sang, les quatorze titres de cet effort enregistré en trois semaines ont fait leur effet chez les jeunes du monde entier! Le tout sera remixé deux fois avant d’obtenir le son désiré par le groupe, avec cette rugosité, le côté sec et cru rappelant l’album des Sex Pistols ou le premier Black Sabbath. En effet, le résultat est comparable à un coup de fouet, revigorant et addictif! Non, je ne fais pas l’apologie du masochisme, quoique…

Rien que le premier titre, Burnout, est court, répétitif et …parlant! « I’m not growing up, I’m just burnin’out ». La vie est chiante, je marche avec les morts dans la rue et c’est ça la vie. C’est du punk-rock, je vous dis!

Les accords sont simples, la basse Fender nous métallise la face de ses lignes acérées et la batterie est sèche et nerveuse…avec en prime le premier solo de Tré Cool aux fûts. La signature musicale du groupe ne changera quasiment pas jusqu’à leurs albums construits comme des opéras-rock, tels American Idiot ou 21st Century Breakdown. Le rythme, les accords en «barré» vont nous faire sentir qu’il s’agit bien de Green Day et pas une autre équipe de soudeurs.

Le trio mouline ses structures pour tapisser ce décor urbain et nous chante la complainte du jeune paumé solitaire, à la limite du dangereux (Having a blast) ou carrément pathétique, comme Longview, qui décrit la vie d’un asocial qui s’ennuie à mort et se masturbe à longueur de journée devant sa télé… Je retiens surtout cette ligne de basse loufoque signée Mike Dirnt, soi-disant imaginée pendant un trip sous acides… je le crois sans effort.

On est pas loin de l’asile psychiatrique et tiens, justement, la folie est traitée dans Basket Case, le troisième single sorti pour la promo de Dookie et chanson la plus citée dans les classements mondiaux. La plus jouée en radio jusqu’à Wake me up when september ends (sur American Idiot), d’ailleurs. Ce titre a simplement mis le feu à mes neurones dès la première écoute. Et en regardant mes plus vieux amis, apparemment, je ne suis pas le seul.

Le clip de ce morceau est tourné dans un hôpital désaffecté et fait référence au film «Vol au dessus d’un nid de coucou». Billie Joe souffre d’anxiété, de tics nerveux et de trouble panique, et ne sait pas comment le soigner à part le chanter. Dans le texte, il fait même référence à un prostitué mâle, partageant avec difficulté ses penchants bisexuels au public.

En gros, le chanteur se met à poil dans tous ses textes, il ne s’agit que d’autobiographies punks. Un traitement par la parole, donc, qui va le rapprocher naturellement de son auditoire. Qui lui rendra bien, puisque fidèle encore aujourd’hui, le public conserve le trio dans une espèce de jeunesse éternelle…à 45 ans passés.

Les chansons Welcome to Paradise et She font partie de mes préférées et humidifient mes yeux à chaque écoute, de manière différente. La première nous raconte un gosse qui a fui le domicile familial et peine à s’en sortir dans sa jeune vie d’adulte, puis s’habitue à la violence et finit par se plaire dans ce «paradis». Une lettre écrite à sa mère montre la dérive psychique et sociale de notre jeune homme victime de son époque qui s’en accommode pourtant.

J’ai pu lire que des professeurs en sociologie avaient décortiqué les textes de Green Day pour établir des théories sur la mode, la vie en communauté…putain, le punk distillé dans nos universités, vivement le retour de Schubert dans un squat avec de la bière!

She fait référence à une ancienne copine de Billie Joe qui lui avait écrit un poème féministe. Il lui a écrit ce texte en retour. Lorsqu’elle l’a quitté pour partir vivre en Amérique du Sud, il n’a pas pu s’empêcher d’insérer la chanson dans cet album. Cette ex-copine est aussi l’inspiratrice de Sassafras roots, Chump et Good Riddance (time of your life) qui sortira sur Nimrod, le successeur de Dookie.

Notre copain Billie a le cœur fait de pétales de coquelicots, bien fragiles et trop visibles.

Mais revenons à la musique, si vous le voulez bien, chers moines trappeurs…

La plupart d’entre vous jugeront une sacrée similitude dans les titres de Green Day, à la limite du foutage de gueule. J’ai souvent entendu dire: « Tout se ressemble, c’est nul et facile! ». Les parties batterie (dures à jouer, je peux vous le garantir… ), la structure éternelle Couplet/Refrain/Couplet/Refrain/Pont/Refrain peuvent vous sembler redondantes, mais nos copains californiens ont eu le même réflexe que les Beatles, Elvis, Sinatra et… tout le monde en fait, tout ce qui n’est pas « progressif ». Depuis les années 50, la musique pop et rock est faite des mêmes ingrédients, des mêmes grosses ficelles et la recette est infaillible. La créativité va se cacher dans la mélodie, les harmonies et les paroles. Point.

Fuck la complication, quand on vient de la musique de rue et qu’on tient à y rester. Les musiques dites « savantes » seront étudiées pour donner naissance à Pink Floyd, Yes, Dream Theater ou Jethro Tull… plus récemment Porcupine Tree. Ici, point de toutes ces fioritures, on va droit au but et mort aux cons. Votre Tonton aime tous les courants musicaux mais respecte les distances de sécurité entre eux. Un jour glam, un jour hip hop, un autre jazz manouche…à chaque humeur son environnement sonore. Demain, c’est Yvette Horner, alors, voyez.

Après Dookie, Green Day est devenu un « supergroupe » puisque matraqué par les radios universitaires aux USA et les chaînes musicales, MTV en tête, dans le monde entier. La tournée qui a suivi la sortie du disque a été la plus intense de l’histoire du groupe (175 concerts entre Février et Décembre 94, en passant par Les Foufounes électriques de Montréal, oui oui…). Les pays européens ont été bien sûr visités et la France gardera longtemps une profonde sympathie pour ces trois jeunes branleurs qui n’hésitent pas à revenir faire de l’anti-Américanisme sur nos terres.

Autrefois apolitique, centré sur soi et vaguement engagé socialement, contre Bush père, le trio (devenu quatuor avec Jason White en renfort à la guitare sur scène) remonte la sulfateuse pour tirer à boulets rouges sur Georges Bush fils et enfin le trop visible Donald Trump. En attestent les brûlots que sont American Idiot (2004) et Revolution Radio (2016).

De la fougue adolescente à l’engagement adulte, la musique dite « transgressive » peut être un défouloir stérile, mais pourvu d’un certain charme puisque rempli de sentiments simples et accessibles à tous. De ce fait, Green Day est jeune et se fait comprendre par son énergie, son phrasé, son iconographie. La parole est donnée à ces paumés qui ne savent pas quoi faire de cet héritage culturel américano-mondialiste, ce joyeux bordel laissé par leurs aînés.

Alors, on remet tout par terre et on recommence à construire, ou on regarde cet amas informe se consumer tout en se grattant la tête? Pour Billie Joe et ses potes, le choix est fait. Rock on.

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique

Né à Lille, grandi à Agen puis réfugié politico-musical à Bordeaux, Hell Touane a subi l'influence de sa famille proche au travers de nombreux standards vinyles bien avant l'avènement du Compact Disc et son premier méfait: Claude Barzotti. En thérapie par l'écriture depuis.

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