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Simon Reynolds, critique musical britannique, disait que « le hip-hop existe entre la rue et l’écran ». Ces bons mots soulignent la tension (intenable à première vue), sur laquelle repose l’esthétique de ce genre : la description d’une réalité dure, âpre, parfois violente, conditionnée (voir polie) pour être bankable. Pour les rappeurs (plus que pour n’importe quelle autre artiste), la posture et l’attitude sont des éléments constitutifs de la production musicale ; la street-credibility est essentielle, mais elle n’est rien sans l’art de la forme. Le hip-hop a une dimension mercantile indéniable. Tout rappeur (tout du moins ceux appartenant à la sphère mainstream) a pour vocation de vendre des morceaux de bitumes ; pour que le grand public les achète, il convient cependant de lisser ces blocs – pour qu’il ne soit pas trop  »durs » – et de les empaqueter dans un bel emballage.

Future et Drake sont sûrement les bougs les plus efficaces à ce petit jeu. Leurs derniers projets ont été de véritables succès critiques et commerciaux : If you’re reading this it’s too late est disque de platine tandis que DS2, sorti en juillet dernier, s’est déjà écoulé à 226 000 copies. Sur la tracklist de ce dernier, on peut trouver le fruit de l’effort conjugué des deux rappeurs sous la forme de Where Ya At, un single entêtant produit par l’inimitable Metro Boomin (qui a largement contribué à définir l’architecture sonore du beat made in Atlanta). On va pas tortiller, ce morceau est juste fantastique : la synergie entre ces trois artistes est totale. On n’ose même pas imaginer ce que donnerait un projet complet sorti par ce trio qui fait figure d’Expendables du rap game.

Quand soudain, avis de tempête sur les internets : un compte à rebours annonce la sortie d’un projet commun entre Future et Drake. Mixtape, album, EP ? Nul ne le sait encore, mais nul n’en a cure : c’est l’effervescence générale, la folie furieuse. Très vite, l’info est confirmée par les deux principaux concernés. Le monde s’enflamme. Metro Boomin diffuse la tracklist de l’album : il apparaît qu’il est producteur exécutif et signe la plupart des instrus, s’entourant tout de même de costauds comme Southside pour l’épauler. C’est la folie. L’expectative est à son comble, l’attente est presque douloureuse. Avant d’avoir écouté la moindre note de ce What A Time To Be Alive, tout le monde souhaite déjà se le procurer. Drake annonce qu’il balancera des exclus de ce projet sur le radioshow d’OVO (diffusé sur Apple Music) juste avant la sortie.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la promo entourant cette sortie a été mené d’une main de maître.

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Lorsque l’écoute tant attendu fut enfin rendu possible, la presse s’est jetée sur ce projet. Et la, rebelotte : avant de s’intéresser au son en lui même, les médias US tentent de dégager de chaque strophe une trace du beef avec Meek Mill, d’une pique lancée à Nicky Minaj, bref, l’on peut lire plus de page sur  »l’intention » de ce disque que sur son contenu à proprement parlé. Le magazine Mic titrera d’ailleurs « Throwing Good Shade Is Somehow More Important Than Making Good Records in 2015 » . Difficile de leur donner tort : Drake et Future sont tout deux des salesmen accomplis, les Don Drapper de l’industrie hip-hop. Leurs succès dans les charts sont le produit d’un marketing particulièrement féroce, d’une mise en scène multimédia globale.

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Revenons à ce disque : What A Time To Be Alive est un format court (11 titres), accessible exclusivement sur ITunes – qui ne cesse décidément de gagner des points dans la joute féroce qui l’oppose à Tidal. Enregistré avec une célérité extrême (6 jours environs), lors de la même session que Where Ya At, il s’agit d’un album relativement simple, quoi que de très bonne facture. Les styles respectifs de Drake et Future sont complémentaires, tout en sachant que chacun d’eux est aussi habile pour enchaîner les rimes dans les couplets que pour pondre des refrains accrocheurs (cf le gimmick de Jumpman). A l’exception du premier titre, Digital Dash, qui est d’une délicieuse férocité, on ne retiendra pas grand chose de ce projet : indéniablement jouissif, récréatif et puissant (on peut s’attendre à le voir jouer pendant quelques mois dans bien des clubs et yard/block parties à travers le monde ce disque reste cependant prisonnier de son contexte).

On se surprend même à se demander si la musique, lorsqu’elle est ainsi traité comme un bien de consommation, malmenée pour rentrer dans les standards de la distribution de masse, peut prétendre au statut d’oeuvre à part entière. Et puis l’on cesse de penser, parce que, franchement, l’on a beau avoir plein de chose à reprocher à ces mecs, ils ont quand même sorti une galette qui fait vraiment, vraiment, plaisir quand elle tourne dans les enceintes. J’ai beau ragé, je suis accroc.

I give the junky a blast, I sent that dope to your momma tho

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A propos de l'auteur

Rédacteur Musique Electronique & Hip-Hop

Fils spirituel de Lester Bang et Hunter Thompson, grand adorateur devant l éternel, de beats qui claquent et de tracks rythmées.

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