Mes braves compagnons trappeurs, il est une vérité à laquelle je me heurte depuis mon enfance, peut-être en avez-vous eu l’expérience. Il est rare que les auditeurs d’une chanson connaissent vraiment leurs chansons préférées. Certes, la mélodie et certaines paroles (le refrain en général) font leur cheminement à travers les trompes d’Eustache jusqu’à l’hippocampe et le cortex cérébral, ce qui par exemple nous permet encore aujourd’hui de chanter par cœur Partir un jour des 2be3, fredonner des airs que l’on a entendus lors de notre période gothique, comme Bring me to life d’Evanescence. Mais a-t-on jamais analysé et compris la démarche des artistes qui en sont à l’origine?
Si je me pose la question, c’est d’abord parce que je n’ai pas grand chose d’autre à glander de mes journées, mais aussi parce que le fait d’entendre Stairway to Heaven lors de récentes funérailles, mais aussi dans des mariages ou autres joyeusetés sociales et religieuses, provoque en moi un mélange coupable de plaisir émotionnel et de doute.
Et comme personne dans mon entourage n’est aussi pinailleur sur les textes et leur sens que moi, ces questions m’explosent à la tronche aujourd’hui même: Pourquoi cette chanson? Se pourrait-il que l’immense ballade de Led Zeppelin ait un rapport avec ces événements? Le sens m’aurait-t-il échappé? Et pourquoi je parle des 2be3, bordel?
Mais revenons plutôt à la Genèse de cette œuvre monumentale des seventies, voulez-vous?
Formé en 1968 sur les ruines des Yardbids, le groupe Led Zeppelin est considéré comme l’un des pionniers du hard rock, du heavy metal, et plein d’autre courant musicaux, y compris les diverses fusions orient/occident qui transcendent les adeptes de sectes new age. Composé de quatre musiciens talentueux et inventifs: Jimmy Page aux guitares, Robert Plant au micro, John Bonham (surnommé Bonzo) aux fûts et John Paul Jones à la basse et aux claviers, Led Zep a marqué la décennie suivante de ses rocks chauffés à blanc, ses solos déconcertants et ses chants venus d’une autre planète. Ils ont signé certains des plus grands titres de l’histoire de la musique moderne et chacun a sa place dans le Panthéon du Rock’n’roll. Leur morceau le plus emblématique, Stairway to heaven, est classé 31ème au classement des 500 meilleures chansons de tous les temps par le magazine Rolling Stone et fut le titre le plus demandé sur les radios dans les années 70, cela malgré l’absence de sortie en single et – surtout!- sa longueur exceptionnelle de 8 minutes. Son solo de 1min et 10 secondes est classé numéro un sur cette planète aussi par le magazine Guitar World. Voilà pour quelques chiffres.
L’histoire retiendra que lorsque Jimmy Page proposa à ses camarades la structure musicale qu’il avait élaborée avec Jones durant toute une nuit, Robert Plant s’enferma soudainement dans une minuscule pièce du studio avec la démo et la trame voulue par Page pour ressortir deux heures plus tard, avec rien de moins que le texte le plus controversé de la scène britannique. Certains journaleux soi-disant «spécialistes» ont longtemps colporté cette rumeur selon laquelle passer la chanson à l’envers laissait entendre une prière à Satan! Les associations chrétiennes et bien pensantes ont demandé pendant des années à bannir la chanson et tout le groupe qui passait pour une bande de dépravés alcooliques et drogués jusqu’à l’os. La signification des paroles est étrange et chacun et chacune peut en interpréter le sens. Voici ma version des faits:
«There’s a lady who’s sure all that glitters is gold, and she’s buyng a stairway to heaven…» Toute la première strophe me donne la description d’une junkie qui vient chercher sa came dans un boui-boui mal famé…pas de quoi célébrer une messe, direz-vous. Mouais. La suite des lyrics m’évoque un délire enfumé, mélange de retour aux sources baba cool et un chamanisme emprunt de doses massives de L.S.D. Un joueur de cornemuse (the piper), la forêt qui éclate de rire, tous les ingrédients sont réunis pour un internement option camisole en téflon.
A cette époque, Page et Plant étaient pas mal versés dans la culture chamanique, les symboles faisant carrément office de titre sur leur quatrième album (appelé Runes ou Symbols par les fans) sur lequel Stairway sort en novembre 71. Comme pour Jim Morisson des Doors ou Jimi Hendrix, les expériences ultra-sensorielles venues d’horizons lointains alimentaient leur quotidien et donc leurs créations, par le biais de transes et autres artifices poudreux…
Alors quoi? On se fout des paroles? On discute trois plombes sur l’origine de cette gonzesse qui cherche à rejoindre le paradis par un escalier? D’ailleurs, qui se souvient de l’autre, le premier Stairway to Heaven, celui de Neil Sedaka? Fouillez les archives de 1960, vous aurez un chouette rock un peu désuet chanté par un crooner qui manie le piano comme Jerry Lee Lewis, en moins charismatique, quand même. Je dirais presque qu’il y a du Buddy Holly, là-dedans. Enfin, voilà pour les creuseurs de tombes.
La réponse, la voilà, mes bonzes amis: on s’en fout! Depuis des années que je m’use la caboche à faire comprendre à mes contemporains que chaque chanson a une origine, une signification et qu’on ne devrait pas l’écouter à tort et à travers, je me rends compte que c’est le contexte de la première écoute qui est primordial.
La musique qui nous parvient procure des émotions à celui qui l’écoute et tout le reste passe après.
I will always love you chanté par Whitney Houston parle d’une rupture, tout comme Hallelujah de Leonard Cohen, repris avec grâce par Jeff Buckley! Relisez les paroles, faites traduire votre moteur de recherche, il vous donnera une version française dégueulasse qui ne laisse tout de même pas de place au doute. En effet, tenter de traduire la poésie de Cohen n’est pas à la portée du premier robot venu.
Et pourtant, on n’en finit pas de les entendre dans les églises, les temples, les salles des fêtes, et je passe sous silence le Seven Nation Army des White Stripes qu’on a labellisé chant de stade…les larmes me viennent à chaque victoire de l’équipe de mon village! Et pas des larmes de joie, j’vous l’dis, moi, nom d’une contrebasse! Et le surjoué Born in the U.S.A de Bruce Spingsteen utilisé à tort pendant la campagne présidentielle de Ronald Reagan ? On en reparle ?
Mais vous savez quoi? On s’en balance, puisque la musique est sensée appartenir à tous, être diffusée autour du globe pour faire bouger les gens donner une ambiance à un événement avant même de susciter la moindre réflexion. Un beat, un solo de guitare, un refrain accrocheur ou un groove de basse feront toujours réagir l’auditeur avant le texte, malheureusement pour l’auteur, parfois.
Il n’empêche que ce jeudi 17 janvier, dans ce funérarium, Stairway to heaven avait une résonance particulière, celle du souvenir de la personne qui m’a fait découvrir un monde de hurlements, de passion et de sueur, le monde du rock’n’roll, qui au fond est à l’origine de mes élucubrations actuelles. Back to my roots, en quelque sorte.
Pour Francis. R.I.P
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