À ceux qui connaissent ma plume, vous savez que je n’écris jamais sur le rap de peur de faire pâle figure face à l’inventivité des artistes et la richesse de leurs textes. Aux autres, relisez cette phrase à chaque fois que vous pensez que j’aurai mieux fait de ne rien écrire.

Ce qui aurait pu être cool, c’est de trouver une introduction à cette article. Vous dire comment on est arrivé dans l’enceinte du Studio Ferber à Paris. On aurait sans doute parlé de notre périple sur le périphérique et le suivant pour trouver où se garer sans avoir à entamer une étape de Pekin Express pour arriver à destination, mais on s’est dit que c’était le plus nul pour commencer.

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Il est donc 19h et nous sommes donc dans la rue du capitaine Ferber dans Paris. Il fait nuit et une petite foule s’est amassée devant un bâtiment qui ne paye pas de mine. Tout le monde regarde tout le monde et dans une discipline informelle, nous voilà à faire la queue pour pénétrer dans ce temple dédié à la bonne musique. Il faut dire que des noms comme Bashung, Gainsbourg, Puccino ou encore Chédid y sont passés pour enregistrer leurs albums. Rien que ça suffit à donner un côté pèlerinage à notre voyage.

Nous voilà donc dans arrivés dans la nef, une grande salle dans laquelle tout le monde s’installe religieusement. Deux ou trois chuchotements ambiancent nos oreilles, quelques tweets s’échappent pour partager cette avant première qui donne de l’impatience. On attend le maître de cérémonie qui arrive pour nous annoncer qu’Abd Al Malik ne sera pas là puisqu’il prêche à l’autre bout du monde, mais que l’on pourra profiter de sa messe enregistrée dans cette pièce à l’acoustique magique.

À partir de là, impossible de repenser à son album Gibraltar sorti en 2006. Un premier opus qui montrait les prémices d’une plume hallucinante et bourrée de références en tout sens. Le titre éponyme est une preuve à elle seule de ce que Abd Al Malik est capable de faire. Quand on le réécoute aujourd’hui, on comprend très vite que les tournures étudiées jusqu’en 3ème peuvent être utiles tant les textes en regorgent. Hommages aux migrants toujours criant d’actualité et antithèses pour placer ce « jeune noir qui pleure » et l’auditeur dans la tourmente du personnage, le tout, avec ce sample du Sinnerman de Nina Simone qui, au travers de l’histoire de la chanteuse, renforce ce mal-être.

La plume de l’auteur est l’exemple parfait du R.A.P. dans sa signification première : Rythm And Poetry. Les scènes s’enchainent et les images bougent. On passe d’un migrant qui rêve à sa vie à un texte plus incisif sur les attentats 11 septembre 2001. Deuxième titre de ce premier album dans lequel Abd Al montre à quel point sa musique peut faire mal. Entre dénonciations, malversations et confrontations, on se retrouve face avec « trois D comme Deleuze, Derrida et Debray » pas si éloignés d’un certain Jay Z.

J’avais déjà un flow de taré,
Lorsque les tours jumelles se sont effondrées,
J’avais déjà un flow de dingue,
Lorsque les tours jumelles se sont éteintes.

C’est le genre de phrasé qu’on retient de la part de l’auteur. Celui qui fait qu’on sait que d’un point de vue lyrical, on fait face à un stremon. C’est d’ailleurs dans la vantardise la plus rappée qui soit que, son prochain album Scarifications,  s’ouvre avec ce titre manifeste et vrai.

C’est aussi à notre tout de profiter des premiers titres de ce prochain album : Scarifications. Un nom aux images dures pour un second long format à la puissance contrôlée. Dès les premiers instants du premier titre qu’on entend, les GSM s’abaissent et le silence se fait. On est en compagnie de deux professeurs hallucinants. Le premier, maître et légende vivante de la musique électronique en France : Laurent Garnier. Et, le second, lyriciste de génie et virtuose de l’allégorie : Abd Al Malik.

Si, sur le papier, le duo pouvait sembler étrange ou trop audacieux, il n’en est rien à l’écoute de l’album. Si la tournure de « à la croisée des univers » est souvent utilisée, elle est ici inopérante puisqu’on se retrouve face à un nouvel univers créé de toute pièce par deux divinités musicales.

Laurent Garnier permet ainsi à Abd Al Malik de pénétrer dans l’antre de la musique d’ordinateurs et de prendre un virage à 360 degrés par rapport au sample de Nina Simone cité plus haut. C’est frais, c’est actuel, mais ce n’est pas pour autant sans vie. La magie du mélange opère et Malik permet à la musique de Garnier de ce teinter d’une vie organique. On est dans le beat millimétré d’une boite à rythme sans perdre ce petit truc qui fait le groove d’un son.  Si le silence permettait tout à l’heure aux GSM de vider leur batterie au début de la cérémonie, les interludes entre les morceaux permettent aux religieux spectateurs de se remettre en état et de prendre quelques notes avant de laisser leur épiderme frémir à nouveau.

Si Abd Al Malik est lyricallement un stremon, d’un point de vue scientifique, il l’est aussi. Il vient de faire New York – Paris en 10 minutes.

Grosse surprise de la soirée. On ne l’attendait plus et voilà qu’il apparait dans le plus grand calme et le plus grand bonheur du petit public. L’avant première se transforme en showcase plus que privé dans lequel Abd Al Malik se fait accompagner par un Matteo Falkone plus que chaud. S’en suite un show dont l’ambiance pourrait faire chavirer une grande salle. On a beau être 40, ça suffit pour que chacun prenne son pied et s’éclate. Certains luttent, mais la plupart font le choix de profiter du live en direct et de ne pas laisser un écran de smartphone devant leurs yeux.

Le live est surtout l’occasion de comprendre la puissance de l’album. La version studio en avait déjà poussé certains à s’asseoir pour profiter de la profondeur de la chose. Le live, lui, nous fait comprendre que tout est prêt pour la suite et qu’après 9 ans d’absence Abd Al Malik va en faire jouir plus d’un.

La soirée s’achève avec le combo blabla/selfie/cocktail des plus cools et chacun peut rencontre cet humble artiste digne descendant des Hugo et autres auteurs français. On en profite pour visiter un peu le studio du Capitaine Ferber avant de sauter dans la rame d’un métro sans vie.

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Une fois de retour dans le chez soi, ça s’ouvre une boisson et ça profite de l’album. Ce Scarifications longtemps attendu après un Gibraltar un poil fébrile qui n’avait qu’ouvert l’appétit pour la suite. Les paroles étaient d’aussi haut niveau que les instrus, mais il manquait quelque chose. Un espace vide que ce nouvel album vient combler sans le moindre mal. On avait faim, on est repus, mais on reste gourmand à l’idée de savoir ce que Malik nous réserve dans la suite des pérégrinations de sa plume. S’il fallait une dernière fois vous convaincre au sujet de l’album, dites vous que c’est tout aussi balèze que du Balzac vu la dose de références cachées dans le texte. Grosse différence par contre, c’est moins chiant à étudier. Mesdames et messieurs les profs, à bon entendeur.

Scarifications sortira le 6 novembre un peu partout chez les meilleurs dealers. Avant de finir, il fallait vous dire que le long-format sortirait aussi sur une galette de 180 grammes pour les plus amoureux. Il y aura également 1000 pressages dans un coloris orange. Sans doute pas pour Halloween, peut être pour coller au Supersition de Stevie Wonder, mais en tout cas pour les encore plus amoureux.

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Pieral Égory

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