S’il est des personnalités qui aujourd’hui intriguent à Hollywood, J. J. Abrams en fait très certainement partie. Tantôt réalisateur, tantôt producteur, on peut dire que le personnage a réussi ces 15 dernières années à susciter de l’engouement autour de chacun de ses travaux, allant de la série Lost à très récemment le septième volet de la saga Star Wars.
Entourant son dernier projet de mystères, J.J. Abrams n’a commencé la promotion de son film que deux mois avant sa sortie. Si la surprise peut marquer les esprits tant le battage médiatique est généralement courant dans l’industrie du cinéma, le parti pris est plaisant puisqu’il permet de découvrir le film d’une manière plus authentique. Restant dans l’univers instauré par « Cloverfield », il nous est ici délivré une « suite spirituelle », s’accaparant en parti le nom et l’esprit, mais pas totalement. Alors, que vaut 10 Cloverfield Lane ? Réponse dans la suite.
S’il est difficile au sens propre de parler de saga lorsqu’il s’agit de Cloverfield, c’est tout simplement parce que dans sa construction narrative et dans le développement des différents épisodes il n’existe pas, à proprement parler, de liens. Ainsi, 10 Cloverfield Lane ne reprend pas où Cloverfield s’était arrêté et ne fait que très peu d’allusions à ce premier opus. Très concrètement, si le titre était totalement différent, il eut été facile de considérer les deux longs-métrages comme deux entités distinctes sans même chercher à faire de connexions entres elles. Cependant, la volonté de J.J. Abrams reste louable. Loin de vouloir produire d’innombrables suites à son premier film, il préfère nourrir sa création d’histoires uniques se déroulant simplement dans le même univers. Le processus n’est pas sans rappeler les Chroniques Martiennes de Ray Bradbury où de nombreuses histoires relatent l’arrivée d’humains sur la planète Mars et des conséquences de celle-ci, sans qu’aucune corrélation forcée n’existent entre les chroniques. Un tel type d’exploitation de la licence Cloverfield permet de vraies libertés dans la narration de chaque film mais également dans la mise en scène de ces derniers, aucun cahier des charges n’étant imposé quant à une cohérence visuelle entre les films.
Passé ce prologue, vous l’aurez compris 10 Cloverfield Lane n’est pas la suite de Cloverfield. On suit ici l’histoire de Michelle qui, suite à un accident, se retrouve coincée dans un bunker en compagnie de d’Howard, un ancien marine adepte de la théorie du complot, et d’Emmet, un autre rescapé. Difficile d’en dire plus sur le synopsis puisque tout l’intérêt du film repose sur la compréhension progressive que va se faire le spectateur durant le visionnage. Partagé entre l’hypothèse d’un enlèvement et celui de croire les dires d’Howard quant à l’attaque chimique d’une civilisation extra-terrestre, le spectateur va devoir, comme l’héroïne, attendre la suite des événements pour que disparaissent les doutes.
Le film peut se diviser en deux, la majeur partie étant alors considérée comme un huis-clos. Propre à une ambiance étouffante, ce style gagne ici en puissance puisque les protagonistes sont enfermés dans un bunker. La réalisation de huis-clos a toujours un côté très particulier et dernièrement elle s’appuie souvent sur un concept afin de servir son propos. Ainsi, deux films concepts sont à citer : Buried et Locke. L’un se passe six pieds sous terre dans un cercueil et l’autre prend place exclusivement dans une voiture. Choisir de ne pas sortir du cadre initial instauré est une prise de risque énorme mais qui souvent s’avère payante tant les concepts exploités peuvent être intéressants. Dans 10 Cloverfield Lane, l’espace s’avère tout de même moins confiné et pourtant, la mise en scène garde tout le côté oppressant de ces murs de bétons qui vous entourent alors même que vous abandonnez l’idée de revoir la lumière du soleil un jour. On est alors à mi-chemin entre le huis-clos classique, où les protagonistes peuvent s’échapper même s’il ne le font pas et le film-concept tel que Buried, où aucun échappatoire n’existe.
Du côté de la réalisation, on trouve Dan Trachtenberg, illustre inconnu au bataillon. Pour être exhaustif, le seul fait d’armes cinématographique de Trachtenberg est un fan-film sur l’univers de Portal. Il est plaisant alors de voir que l’industrie Hollywoodienne et des personnes comme J.J. Abrams laisse leur chance à de jeunes réalisateurs. Loin de la caméra sur l’épaule continue de Cloverfield, Trachtenberg adopte une ambiance beaucoup plus posée, presque trop d’ailleurs. Chaque scène a pour but de susciter la tension entre les personnages, mais aussi «d’endormir » le spectateur pour mieux le choquer par la suite. Trachtenberg s’avère un brillant manipulateur de l’image, usant de codes simples mais très souvent efficaces tant dans l’établissement de ces plans que dans l’utilisation des mécaniques propres au genre horrifique. Variant les couleurs d’un décor à l’autre, utilisant à bon escient le côté oppressant du bunker et de ces lumières vacillantes, il distille tout au long du film un véritable climat de tension. Il est difficile d’échapper cependant à certains effets de style et malgré une introduction détonante, 10 Cloverfield succombe parfois aux facilités du genre, parsemant ça et là le long-métrage de jump-scares pas chers et d’autres ficelles généralement réservées aux films d’épouvantes.
C’est ici le point tournant du film, qui est à la fois une qualité et un défaut. 10 Cloverfield Lane est à la croisée des chemins entre thriller psychologique et film d’épouvante teintée de SF. On sent dès lors le mélange des genres, tant dans les codes cinématographiques que dans la narration. Alors qu’il est facile d’avoir une écriture plutôt pauvre dans les « Slashers movies », ce n’est ici pas le cas. En effet, c’est dans l’écriture que 10 Cloverfield Lane prend toute son ampleur de thriller psychologique, et pas seulement dans sa mise en scène. Chaque élément, chaque ligne de dialogue vient trouver à un moment ou à un autre son importance. C’est même avec un petit sourire que l’on va repenser à un détail d’une discussion au début du film, lorsque ce même détail aura une importance cruciale à la fin. Le travail est vraiment a saluer sur ce point, permettant aux acteurs de profiter d’une narration de qualité afin de faire montre de leurs talents.
Sur ce point, Mary Elizabeth Winstead est à citer en tête de liste. Essentiellement connue pour son personnage de Ramona Flowers dans Scott Pilgrim, elle vient ici crever l’écran. A aucun moment elle n’en fait trop, insufflant une justesse à son personnage qui est rare dans les films de ce genre. Plus encore que cette justesse émotionnelle, elle adopte un comportement réaliste. Loin des clichés de la femme qui, en l’espace de deux heures, passe de jeune fleuriste candide à Michelle Rodriguez abattant des zombies par lot de 50, elle illustre le parcours psychologique de son personnage avec brio. Cela dit, on regrettera peut-être un ou deux passages où, par une incroyable faiblesse de script, l’héroïne se voit aussi ingénieuse et chanceuse que MacGyver dans l’un de ses meilleurs épisodes. John Goodman n’est pas en reste non plus du côté interprétation. Tantôt « gros nounours », tantôt effrayant geôlier, il incarne parfaitement la personnalité compliqué de ce vétéran Marines, lequel on ne sait pas si on doit le croire fou ou excessivement prévoyant.
Au final, 10 Cloverfield Lane est une expérience à part à mi-chemin entre plusieurs sous-genres. Solide dans son écriture, beau dans sa réalisation, il est surtout captivant dans sa mise en scène. Jouant habilement avec les émotions du spectateur, il parvient à saisir le cœur d’une salle entière. Ce genre de moments où la pièce retient son souffle, où l’action éclate et qu’une voix s’élève involontairement, trahissant les pensées de toute l’assemblée en lâchant dans un souffle un énorme : « Pu-taiiiin… »
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