En 1998, la France prend une claque chaloupée dans la tronche; elle est blanche, a des dreadlocks et ne sait pas jouer autre chose que du reggae. Les paroles sont simples, la musique est super maîtrisée, surprenant pour un Français de tenir la barre dans ce style difficile à adapter à l’hexagone (même Gainsbourg a failli tourner bourrique avec ses versions de plus en plus ridicules). Sur la pochette de Pierpoljak, la façade d’un studio en Jamaïque, Tuff Gong. A l’époque, je croyais bêtement que c’était le nom de l’album du parisien de Kingston. Puis, je me suis souvenu d’un disque qui portait les mêmes inscriptions, une relique qui me frappa pendant ma jeunesse…

100_14701

Alors, du haut de mes seize ans, tel un archéologue de la musique, je me mis à rechercher avec ardeur la source de ces mots. Elle était sous mon nez, dans la rue, tout autour de moi, et même chez ma grand-mère Philomène… un disque de Bob Marley and the Wailers, nom d’une pipe en terre!

Exodus, sorti le 3 Juin 1977 sur Island Records (tiens, il y a quarante ans cette année, dis donc!) est le neuvième album sur lequel apparaît Bob Marley (depuis 1965, en fait), mais depuis quelques années, il tient la tête du groupe. Les membres fondateurs (Peter Tosh et Bunny Wailer) ont quitté le navire et Bob enregistre une partie de la galette à Kingston et l’autre à Londres, après une fusillade qui éclate lors d’une répétition dans sa maison. Forcé de fuir les troubles socio-politiques de son île, Robert part s’imprégner des tendances européennes et le disque s’en ressent au niveau musical. Il sera un mélange de soul, funk, reggae, blues, d’autant plus que Dieu lui-même, Eric Clapton, lui a ouvert la voie au royaume de Sa Majesté en lui empruntant  I shot the sherrif en 74.

Marley va découvrir les punks, le thé de 17h, les studios professionnels…et un nouveau succès mondial.

La face A de la plaque vinyle présente des titres tournés vers la politique et le mysticisme, tandis que la face B nous ramène à des thèmes plus légers, tels que le bien-être, la fête et le sexe (à classer dans n’importe quel ordre, selon l’envie!)

Natural Mystic est bien entendu un reggae (on en attendait pas moins de sa part, hein…) mené par Aston Barrett sur une basse super pesante, au fond du temps, comme disent les saltimbanques, appuyé par son frangin Carlton Barrett qui tient les fûts. Et pourtant, ce titre est largement teinté de blues dans son solo guitare omniprésent, et les cuivres viennent élargir le propos du texte: «This could be the first trumpet/ Might as well be the last». Une allusion, selon moi, aux six trompettes de l’Apocalypse. Si l’on ne veut pas voir «de la grêle et du feu mêlés de sang s’abattre sur la Terre», on ferait mieux de s’écouter et de s’entendre. Le message est passé, merci Robert, j’ai posé le diamant sur le disque depuis 22 secondes et j’ai déjà mouillé mon Freegun à feuilles de ganja…t’es un pote, toi.

Amis trappeurs, je tiens à vous rappeler que le Reggae est un genre musical militant, prônant la paix, l’unité, mais aussi dénonçant les injustice et réservant un sort funeste à celui qui bafoue les règles de Jah. Il n’y a pas que «Reggae night»de Jimmy Cliff, ses joints et son rhum ambré…il y a aussi beaucoup plus sombre.

Ainsi, So much things to say et Guiltiness est une forme de diptyque sonore, dont les paroles glissent entre la pression exercée par ceux qui jugent («the laws of men» dans So much) le bon gars Bob et ses comparses, et le jugement qui les attend («woe to the down pressers/They’ll eat the bread of sorrow» dans Guiltiness). En gros, les gros poissons mangeront le pain de la souffrance en représailles des torts qu’ils ont causés lors de leurs mandats. Œil pour œil, bouche pour dent…Le tout est soutenu au chant par les fidèles choristes, les fantastiques I Threes, soit Rita Marley, Marcia Griffiths et Judy Mowatt.

Maintenant, mon petit chouchou de la face A: The Heathen est un chant partisan, scandé debout sur les barricades pour relever les troupes des «païens» tombés au combat. Une sonorité particulière, avec cette gratte solo lointaine toute en distorsion qui sort tout droit du rock psychédélique (Junior Marvin, le Jimi Hendrix Jamaïcain), mais aussi ce foutu clavier aux effets spéciaux (et spatiaux!) de Tyrone Downie, sombres et graves en fin de refrain, nous plonge dans un univers quasi-cinématographique (à chaque fois, je ne peux m’empêcher de penser à un obscur film de zombies, à la John Carpenter). On voit presque les combats de rue, l’oppression, les machines à tuer. Un film sonore de 2min32. Court, mais si puissant!

Exodus, la chanson qui a donné son titre à l’album, est à considérer de plusieurs manières, un peu comme le «Exile on Main St.» des Rolling Stones. Je ferai un petit papier sur cet album particulier, d’ailleurs, à l’occasion, si le temps le permet.

Marley s’exile à Londres pendant l’enregistrement de son album, fuyant les attentats qui l’ont blessé au bras et ont failli tuer sa femme Rita (qui a pris une balle dans la tête, quand même…). Il met en écho son déplacement forcé à celui des croyants qui ont été chassés de leurs terres et cherchent à rejoindre leurs origines… Troublant lorsqu’on pense que le papa du gars Bob (Norval Sinclair Marley) était issu d’une famille juive Syrienne installée en Jamaïque après avoir transité… par l’Angleterre. Comme quoi, l’existence n’est qu’une boucle temporelle.

La phrase «We know where we’re going» («Nous savons où nous allons») est une allusion au slogan du premier ministre Michael Manley lors des élections Jamaïcaines de 1976. La chanson sert de réponse au discours de l’homme politique. Nous savons que nous partons loin de l’oppression, retrouver Jah et la terre de nos ancêtres. Un chant qui se répercute à travers les âges, si l’on jette un œil aux tristes événements récents. Un chant de paix, de rédemption, d’espoir.

«We’re leaving Babylon, we’re going to our Fathers’ land.» Amen, frères!

Par ailleurs, avez-vous remarqué, chers auditeurs avertis, le traitement de certaines voix à la fin du morceau? Plutôt troublant de retrouver une ligne presque…vocodée, 25 ans avant la vague Daft Punk, n’est-il pas?

La face B change un peu d’ambiance et on se rend compte que le Rasta ne fait pas que se plaindre et lutter. Il sait aussi poser les armes et son cerveau à l’occasion pour faire la fête et profiter du jour présent.

Sur Jammin, Bob nous dit à tous qu’ « aucune balle ne nous arrêtera à présent, nous ne mendierons pas et ne nous abaisserons pas. Nous ne sommes ni à vendre, ni à acheter. » Il est temps de célébrer, et quoi de mieux qu’une fiesta maison et du sexe pour fêter la vie? Bah rien.

La référence à cette tentative d’assassinat est rapide, il s’en débarrasse pour profiter de la vie et laisser le passé derrière lui.

Ce titre est l’un des plus emblématiques de Bob et des Wailers et a souvent été entendu sur toutes les ondes radio, dans des séries ou films récents. Même Stevie Wonder (encore lui? Ce mec hante mes chroniques, va falloir que j’appelle un exorciste, nom d’un Bontempi!) s’en est inspiré pour un morceau intitulé Master Blaster (Jammin). Magnifique hommage d’un roi à un autre roi.

Waiting in vain est le morceau loooooove de cet opus génial. Les paroles sont toutes choupinous, le pauvre Bob frappe à la porte de sa douce en attendant qu’elle lui ouvre (depuis trois ans, selon les paroles, mazette, ce type est patient!) . Cette bluette nous sort complètement des barricades et de l’oppression, On découvre un côté petit garçon charmant dans cet océan de violence. Là, la guitare se fait discrète, le solo est vraiment smooth, avec un effet d’écho mesuré, la part belle est laissée aux voix et au clavier. Sans cette rythmique caribéenne, on pourrait entendre un morceau de John Lennon. Si si! On en redemande !

Turn your lights down low est un nectar de la même mouture, sauf que la belle a enfin ouvert la porte…et Bob lui susurre de mettre une ambiance cosy dans son living-room. Un morceau comme celui-là pourrait figurer sur un album de Marvin Gaye, Serge Gainsbourg, Otis Redding, voire Barry White… c’est du love en barre! Rien de mieux pour une sieste estivale à deux (ou plus!) derrière les rideaux. On n’a pas fait mieux depuis.

En 1999, Lauryn Hill avait réinterprété ce joli titre en duo fictif, moitié Bob, moitié rap. La miss s’est par ailleurs mariée avec l’un des fils, Rohan Marley. Une histoire de famille, on dirait! 

Three little birds, aussi connu sous d’autres noms, à cause des paroles simples du début, est une carte postale du jardin du Maître Marley. Les oiseaux cités dans le texte sont tout bêtement quelques pélicans tout mignons qui se posaient devant la terrasse de sa maison à Hope Road, Kingston. Mais les I Threes (les choristes) considéraient qu’il s’agissait d’elles et jouaient avec cet hommage sur scène. Deux explications valent mieux qu’une. Je vais garder la première, m’intéressant plus à l’ornithologie qu’aux ébats amoureux des rastas…

Ce titre est judicieusement amené dans le film I am Legend avec Will Smith, dans une scène qui met en antagonisme la légèreté sautillante de la chanson et la situation gravissime du personnage, forcé de dormir d’un œil dans une baignoire pour éviter l’invasion zombie. Bon point pour toi, Will, tu es sauvé. Mais Suicide Squad t’a condamné par la suite.

One love/People get ready est LE putain de tube, que même les beaufs en goguette dansent à la soirée DJ du camping des Flots Bleus, entre un verre de rosé chaud et Patrick Hernandez.

Ce titre composé en 65 par les Wailers était déjà sorti en single, sous une autre tonalité, puis Marley décida d’y inclure des passages de «People get ready» de Curtis Mayfield. D’où le double titre et le crédit de co-auteur pour le bon gars Curtis, énooooorme artiste Soul. L’un des morceaux les plus repris sur cette planète, avec plus ou moins de bons résultats. 

Allez, je me paye une conclusion de visiteur dans cet environnement souvent mal connu. En ce qui concerne Pierpoljak, j’ai vraiment du mal à me faire une idée de la pérennité de son œuvre.

Exodus est de ces albums qui traversent le temps sans avoir à souffrir de rides disgracieuses. Ses instruments d’époque et son mix analogique bien patiné à l’ancienne (surtout sur galette vinyle) lui confèrent une carrière que peu de genres peuvent appréhender. Le choix des chansons, la disposition des faces A et B est idéale et montre une justesse dans le propos. Le Reggae est fédérateur, militant, dangereux et conscient du monde qui l’entoure. Il sait se faire doux et coquin, amical et festif, lorsque les armes se taisent.

S’il y a des enceintes à gros diamètre à Mossoul, s’il te plaît, Jah, balance un Wailers pour voir des sourires aux infos. Peace !


ECOUTE INTEGRALE 

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique

Né à Lille, grandi à Agen puis réfugié politico-musical à Bordeaux, Hell Touane a subi l'influence de sa famille proche au travers de nombreux standards vinyles bien avant l'avènement du Compact Disc et son premier méfait: Claude Barzotti. En thérapie par l'écriture depuis.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.