Bon, vous devez le sentir, mes chers mignons padawans: lorsque le froid vient mordiller le lobe de l’oreille et que le bout du nez mutin fait du goutte à goutte, quand les journées raccourcissent et les files d’attente dans nos magasins s’allongent, avec des chariots remplis de bouffe grasse et de Clairette bon marché, c’est qu’on est pas loin de voir un gros rougeaud barbu débouler à tous les coins de rue en distribuant des bonbons à la sève de pin avec une haleine de Villageoise millésimé. C’est Noël, bordel!

Et en cette période, au même titre que la bûche glacée, les pulls ridicules qui grattent et les décorations qui rendent dépressifs les fans d’Indochine, il est une tradition qui perdure, malgré la crise du disque et la constante augmentation des malentendants sur Terre. L’album de Noël.

Cette année, j’ai eu l’occasion de tomber sur une pub vantant les derniers couinements de Justin Bieber (mais siiii, le petit Canadien tout mimi qui remettait sa mèche en place avant de vomir sur scène il y a juste trois ans!) qui prouve donc sa consécration au Panthéon des chanteurs populaires. Mon esprit a donc fait un triple boucle piqué en entendant ce qui me semblait être un grincement de porte de cachot syrien, et je me suis dit: «Ma parole, il n’y a que les chanteurs de seconde zone et les has-been qui pondent un disque de saison!»

Puis j’ai réfléchi un brin et une illumination m’a ébloui la courge…il y a autant d’albums de Noël qu’il y a eu d’années de production musicale! Et surtout, tout le monde y est passé!

Prenons le temps de regarder à travers la vitrine temporelle: un cylindre de cire gravé a été récupéré, nettoyé puis édité par le Museum of London. Ces enregistrements nous font entendre une famille bourgeoise qui festoie et entonne des chants traditionnels en cette bonne fin d’année 1902, voyez!

Les fameux Christmas Carols que l’on entend dans le téléfilm d’après midi sur M6 (toutes les chaînes de la TNT, en fait) ont une histoire bien plus ancienne, mais la société de production et de distribution a continué cette tradition, ce marronnier, comme on dit en journalisme. Chaque année, depuis les années 1920, les artistes reconnus par les professionnels de la profession nous beuglent la joie de se retrouver ensemble, le retour du divin enfant et quelques adaptations plus ou moins personnelles. On va remarquer que presque tous les styles sont représentés, sauf évidemment la Hard-Tek (quoiqu’il n’est pas impossible qu’un DJ landais haut perché nous ait pondu un morceau à base de renne en poudre).

Bon, il y a Justin, bien sûr, mais sachez que Céline Dion et Garou se sont fendus chacun de leur côté d’un ou plusieurs disques saisonniers. Comme ça, le Canada est bien représenté, en rajoutant pour les plus anciens Roch Voisine, Robert Charlebois, Gilles Vigneault ou Félix Leclerc. La proximité avec les États-Unis est ici flagrante, les artistes Québécois n’ayant aucun scrupule à piller la culture anglo-saxonne quand ça les arrange.

Les States nous ont tout fourni depuis les deux dernières guerres, entre le chewing gum, les Lucky Strike et la rebel attitude. Là où ils ont été plus vicieux, c’est avec Dean Martin, Fred Astaire et Frank fuckin’ Sinatra! Ces trois-là nous ont fredonné tant de chants de Noël qu’il nous semble qu’ils ont enregistré dans notre langue! Essayez le refrain de Let it Snow ou Santa’s coming to town (que j’ai entendu en version dub step le week-end dernier, lutin de merle!).

En vrac, je pourrais citer KT Tunstall avec un E.P intitulé Have yourself a very KT Christmas en 2007, Mary Christmas de Mary J. Blige en 2013, Ariana Grande en 2015, Bob Dylan en 2009 (!), la série américaine Glee en a sorti au moins deux. Même Weezer, un de mes groupes préférés depuis que j’ai des poils sur les tempes a osé sortir un E.P thématique en 2008! Et je ne parlerai pas d’Elvis qui revient chaque fin d’année nous pondre un album depuis l’au delà… Bref, tout le monde a sorti un disque de saison, y compris sa grand-mère et son facteur. Et les titres sont aussi novateurs que l’ensemble des titres de la BD Martine.

Les chants traditionnels sont présents, mais les créations originales prennent aussi beaucoup de place! Et dans cette catégorie, attention, car parfois, on frôle le génie. Parfois.

En 1988, the Pogues ont sorti le single Fairytale of New York, dans lequel les deux interprètes Shane McGowan et Kirsty MacColl nous tirent une larmichette de whiskey irlandais, sur fond de souvenirs éthyliques en cellule de dégrisement new yorkaise. Pas étonnant que régulièrement, les artistes (Ed Sheeran en tête) rendent hommage à cette magnifique folk song qui sent bon le pub et la cervoise tiède.

 Les superstars anglaises Queen et Wham! ont eux aussi leur morceau de bûche avec respectivement Thank God it’s Christmas (1984) et Last Christmas (1986) , deux verrues artistiques sur les visages tant virils de Freddie Mercury et Georges Michael. De ces deux méfaits, un seul est passé à la postérité grâce au pouvoir du culte voué au kitch et aux clips moisis. En fait, aucun des deux n’aurait dû survivre. Je parle des morceaux, hein, pas des moustachus, soyons d’accord…

John Lennon, le Jésus pop a bien sûr poussé la bramante pour les fêtes de fin d’année avec Happy Xmas (War is over) en 71, en compagnie de sa femme Yoko Ono, ainsi que les enfants du Harlem community Choir. Mais là, pour le coup, il s’agit à moitié d’un chant protestataire. En effet, les paroles sont tirées d’une campagne publicitaire de 1969 lancée par les époux les plus célèbres de l’époque. Des affiches où l’on peut lire: «War is over (if you want it). Happy Christmas from John and Yoko!» sont collées un peu partout dans le monde et fait référence au conflit au Nord-Vietnam. C’est le producteur Phil Spector qui enregistre et produit la chanson et si cette dernière n’atteint pas le haut du classement, l’assassinat de Lennon en 1980 va lui assurer une promo de rêve et ce titre figure depuis parmi les classiques en période rouge et blanche, laissant le texte se dénaturer. Enfin, il n’y a plus de guerre, de nos jours, ma p’tite dame! Quelques querelles, tout au plus…

Les suédois d’ABBA ont joué l’originalité avec Happy new Year en 1980 sur leur album Super Trouper. Il est rigolo d’apprendre que le titre provisoire a été «Daddy, don’t get drunk on Christmas day». Le canular germano-antillais qu’on appelle Boney M sort Mary’s boy child en 1981, une vieille scie chantée depuis 1957 par Harry Belafonte, un autre héros caribéen. Encore une fois, c’est un succès planétaire.

Un peu partout dans le monde occidental, tout du moins de culture judéo-chrétienne, la tradition du disque qui nous attend au pied du sapin est aussi importante que le foie gras en France, le porcelet à l’orange au Portugal, le plum-cake en Angleterre, l’Ouzo en Grèce et le dégueulis du lendemain un peu partout.

Allez, pour mon plus grand plaisir, voici un petit florilège des «surprises musicales» de fin d’année: En 1981, notre bon pote Renaud nous chantait le Père Noël Noir dans une version reggae disons très…personnelle. Toujours de bon ton et si peu consensuel, c’est comme ça que j’aime Renaud. Saignant et marrant.

Johnny Hallyday, qui décidément nous a quitté au meilleur moment de l’année pour son distributeur a été et sera encore l’un des plus grands pourvoyeurs de skeuds de fin d’année. Peu de familles en France n’ont jamais eu la chance de trouver un cd, un dvd ou un mug de notre Jojo national soigneusement emballé dans un papier Fnac ou France Loisirs. Il se paye même le luxe de vendre à cette période sans forcément avoir enregistré de chanson spéciale pour Noël, l’infâme cuistre! Le dernier titre en date, Mon plus beau Noël en 2005 est bien en dessous de sa plus belle chanson Noël interdit, en 1973. Même les vieux un peu cabossés ont la glande lacrymale qui se réveille à chaque occurrence. Même moi, putain.

Les grands classiques de Tino Rossi et Sacha Distel ont fait grandir mes parents, moi c’était Dorothée et Chantal Goya qui ont éclairé mes veillées hivernales, avant que les comiques troupiers belges Pit et Rik ne viennent secouer le cocotier enguirlandé. Encore aujourd’hui, dans ma famille, on écoute leur version de la Nuit de Noël qui réserve la part belle aux insectes, et pas aux humains. Ça change.

La scène rock n’est pas en reste. Trust, oui, vous avez bien lu, LE groupe de hard français qui chante Antisocial a lui aussi enregistré sa reprise de Petit Papa Noël pour les fêtes en 1989! Les légères variations dans le texte sont tout simplement croustillantes!

 Les Sales Majestés en 2002 sortent P P Haine, Parabellum chante simplement Joyeux Noël en 97, les Wampas en 90 chantent Ce soir c’est Noël…Wampas et des meilleures (désolé, je n’ai pas pu m’en empêcher!)

Mer très chers enfants, au réveillon de cette année, par pitié, mettez de côté Julio Iglesias, Frank Michael (même si grand-mémé adore) et boycottez la dernière mouture de White Christmas de Beyonce (sauf si Eminem fait un featuring!) et foncez mixer un florilège de sous-culture, celle qui se cache plus loin que l’allée principale du supermarché. Fouillez les méandres de l’Internet et mettez la main sur la perle rare, la beauté oubliée qui fera scintiller votre soirée et dire à votre famille: «Quelle culture, mon enfant!»

N’oubliez pas, à ce moment précis, de répondre en souriant que si Noël est la fête du partage et de la tolérance, ce n’est pas une raison pour se farcir les oreilles avec les mêmes étrons commerciaux chaque année. Passez de bonnes fêtes et vive la vie!

 

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique

Né à Lille, grandi à Agen puis réfugié politico-musical à Bordeaux, Hell Touane a subi l'influence de sa famille proche au travers de nombreux standards vinyles bien avant l'avènement du Compact Disc et son premier méfait: Claude Barzotti. En thérapie par l'écriture depuis.

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