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Jim Jarmusch aime filmer les nihilistes dandys, ce genre de belles gueules qui culpabilisent d’être nées et qui cherchent à combler leurs vides en collectionnant les blousons en cuir au top de la mode ainsi que les instruments rares. Toute sa filmographie est peuplée de cette gente misanthrope et blasée. Avec Only Lovers Left Alive, le réalisateur américain traque toujours la même proie et s’immerge dans le le milieu social gothique du vampire. Quand Dracula fusionne avec Des Esseintes.

Le rapprochement avec le personnage d’A rebours de Joris-Karl Huysmans est évident, Adam (Tom Hiddleston), neurasthénique notoire, s’érige un abri artificiel où seules la musique et les délicates courbes boisées d’une Fender donnent le goût de vivre.

La scène d’ouverture du film nous plonge derechef dans cette ambiance romantique et décadente avec un sublime montage alterné entre un vinyle en cours de lecture et Adam lové dans les bras de sa guitare, à demi-nu dans son canapé, les yeux perdus dans le vague. La caméra opère à un mouvement circulaire hypnotique et quasi-vertigineux, comme pour signifier la lassitude de vivre qui étreint Adam après ses quatre siècles de vie. La mélancolie de ce luxuriant rock progressif en musique d’introduction nous donne le ton, le vampire ne sera pas d’humeur à la chasse, mais à l’introspection.

Dans ce film sans action, c’est bien plutôt le rapport au temps qui intéresse plutôt que la prédation des vampires. Que faire de l’éternité ? Eve (Tilda Swinton) en profite pour acquérir un maximum de connaissances et ainsi mieux saisir la beauté du monde qui l’environne. Adam, quant à lui, devient tout à fait hermétique à son entourage.  Intégré dans la pop culture (inutile d’énumérer le nombre de films et de livres sur le marché d’aujourd’hui sur le thème du vampire), Jarmusch s’approprie cette figure draculéenne très actuelle pour en faire une inactuelle.

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Dans sa tour d’ivoire élisabéthaine érigée en plein Détroit, Adam apparaît comme la relique d’une époque de bon goût et de raffinement, perdue au beau milieu du cimetière du capitalisme dont la ville du Michigan est le symbole.La modernité l’écœure et les zombies (c’est ainsi qu’il désigne les hommes) en sont les principaux responsables. Ils sont cupides et insensibles. Adam est prêt à en finir et s’est même déniché l’arme qui pourrait mettre fin à sa vie, de quoi décontenancer un Wesley Snipes dans l’habit de Blade, c’est dire si le film de vampire a changé ! Le vampire n’est plus un prédateur, nous le disions, il se ravitaille illégitimement à l’hôpital. Quand le réalisateur film l’effet que la consommation du sang lui procure, il semble implicitement traiter de l’addiction aux drogues et à l’alcool, paradis artificiels parmi lesquels d’autres poètes maudits avaient pris refuge.

Tandis que les canines acérées et les gorges déployées firent les beaux jours de la Hammer Production et de l’American Internation Pictures, premiers studios à cibler un public adolescent en filmant la violence et l’érotisme des manoirs transylvaniens, Jarmusch fait basculer le genre dans un style plus contemplatif, intellectuel. Ainsi les dialogues sont truffés de références littéraires, cinématographiques et musicales, car la solution au spleen semble être la culture, trop souvent occultée dans cette époque consumériste qui n’a plus rien à offrir. On s’émerveillera de la photographie (Adam et Eve au lit après l’amour), de la bande-son mirifique comme à l’accoutumée chez Jarmusch.

Loin des Twilight et autres soap-opéra pseudo-gothiques, Only Lovers Left Alive est un bijoux esthétique purement cinématographique où l’art, la culture et l’amour sont célébrés comme les seuls véritables raisons de vivre.

 

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique et Critique Ciné.

Diplômé en littérature comparée et communication, a étudié la naissance du fantastique en littérature et sa transposition cinématographique ; chroniqueur cinéma et musiques actuelles sur le web.

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