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Ultrasensible, le nouveau film de Spike Jonze, mieux connu pour Dans la peau de John Malkovich explore cœurs et processeurs, questionne le rapport amoureux plus qu’il ne condamne l’attachement contre-nature de l’homme à la machine. Séance d’analyse des émotions au rayon-x.

Théodore (Joaquin Phoenix), écrivain public 3.0 travaille pour une de ces applications de demain qui rédigera vos lettres d’amour, d’amitié, à votre place. Si Theodore parvient si bien à exprimer les sentiments des autres, les siens sont confus. Son passé avec son ex-femme ne passe pas, son avenir amoureux avec un ordinateur l’angoisse. Traînant ses guêtres et son mal-être dans les rues californiennes nimbées de soleil, sa noire mélancolie contraste fortement. Sa femme l’a quitté, mais un système d’application va l’aider à tourner la page, Samantha (Scarlett Johanson), un Tamagotchi du futur capable de ressentir des sentiments et de tomber sincèrement amoureux d’hommes. Trop capable même, comme le révèlera son don du multitasking que l’on impute aujourd’hui à la génération Y comme une vilaine manie. Pourtant ce serait une erreur de croire que le film est un plaidoyer contre les dérives de l’homme moderne connecté jusqu’au bout des ongles.

Liaison dangereuse

Hors-champ, Samantha est omniprésente et douée d’alchimie, transformant le vide en plein, car sans jamais être à l’écran, sa voix suave et cassée bouscule l’apathie dépressive du geek et caresse les tympans du spectateur. Scarlett pourrait doubler l’actrice au physique ingrat, cette dernière deviendrait subitement et irréversiblement séduisante.  Ses soliloques d’enfant précoce réjouissent, ses tourments et chagrins touchent comme le blues d’un robot et c’est bien là l’ambiguïté du film : faut-il se méfier ou se fasciner devant cet androïde charmeur ? « L’amour est une folie que notre société cautionne » dit Amy, la meilleure amie de Theodore. Les joies de l’amour valent-elles les coups d’endurer ses peines ? Qu’est-ce que s’engager ?

Êtres finis ou infinis ?

Sans être un procès ou une ode au tout technologique, Her évolue dans futur proche, un mélange indéfini d’utopie et de dystopie. Même neutralité, Théodore n’est pas l’onaniste coupable d’égocentrisme et de narcissisme, au lieu de vivre ici-bas avec autrui. C’était un manichéisme facile dans lequel s’était perdu le moins bon des épisodes de Black Mirror, celui qui passait la morale pudibonde aux utilisateurs pervers des smartobjects en décrivant la relation malsaine d’une jeune femme avec un logiciel programmé pour se substituer à son petit ami, mort.

Her est bien plutôt un film intimiste et délicat qui saisit avec une justesse et une retenue poétique les splendeurs et misères de la relation, ses euphories, sa maturité, sa décadence, son insoutenable évanescence. Les hommes et les femmes y sont tous en quête d’amour et de compréhension, en soif d’alter égo mais irréductiblement seuls-ensembles à l’image de ses ralentis tendres et lucides sur des passants tous occupés à parler à un hors-champ invisible et cloisonnant. Theodore comme le jeune Werther, souffre parce qu’il aspire à un amour absolu et sera toujours le premier déçu quand, à l’évidence, la relation se heurte à un point de non-retour. Her traite de la fatale solitude humaine, cette « distance qui s’étire entre les mots », inconstance, impossibilité de devenir « un tout » qui devient dépressive si elle est interprétée comme « la perte d’une moitié » car « le passé est une histoire que l’on se raconte ». Il faut accepter l’infinitude, l’incomplétude mais Théodore, le romantique prométhéen, refuse. Dans Her, l’homme et le robot sont imparfaits car human after all.

 

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique et Critique Ciné.

Diplômé en littérature comparée et communication, a étudié la naissance du fantastique en littérature et sa transposition cinématographique ; chroniqueur cinéma et musiques actuelles sur le web.

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