Ceci est une chronique inactuelle. Et un anti-conte de Noël. Fuck la société, et vive l’anti-conformisme complaisant. Et nique Zemmour.

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« Baloji a sorti son album Hôtel Impala il y a 8 ans, Anthony ! » s’esbroufe la voix intérieure qui réside dans la partie gauche et rationnelle de mon cerveau. « What’s the foutre ? Why vas-tu écrire on this shit que tout le monde s’en fout ? » poursuit-elle avec ce franglais branché qui la caractérise. « Look at le début de cet article, it is non-sense, y’a même pas de chapeau et on sait à peine de quoi it’s about ! ».

Moi dans mon canapé avant l'épiphanie

Moi dans mon canapé avant l’épiphanie

Mais la partie droite de mon cerveau, l’émotionnelle, galvanisée par une pub Diesel « Be Stupid » aperçue à la TV, vautré sur un canapé, à roter du Ferrero-Rocher, se rebiffe soudainement et dit :

« Parce que ! Parce que nous sommes en plein solstice d’hiver, que la lumière est pâle et le cœur d’Antho-Chéri lugubre, son âme taciturne ; parce que c’est Noël et qu’Antho-d’Amour a l’impression d’être la dinde qu’on gave de bons sentiments et parce qu’il a peur qu’on le foute au four s’il devient trop gras de mauvaise humeur ! Parce qu’aussi, je te le concède, il a la tête pleine des revues altermondialistes rangées là, dans la chambre d’amis où il séjourne actuellement pour remplir à ses obligations familiales ! »

Moi avant qu'on me farcisse.

Moi avant qu’on me farcisse.

Pesant le pour et le contre, déchiré par ce combat intérieur, j’ai choisi la voix de l’organe creux et musculaire qui assure la circulation du sang en pompant le sang par des contractions rythmiques vers les vaisseaux sanguins : le cœur.

Car après tout, pourquoi pas ? Davy Croket n’est lié à aucun sponsor publicitaire, aucune marque qui l’obligerait à faire la promotion des « bons disques à offrir pour Noël » ; n’est soumis que très peu à la tyrannie de l’« air du temps » ; n’est pas cantonner à verser l’encre aseptisée de la promotion. Aujourd’hui, c’est la mémoire et le cœur qui vont parler ! No pasaran, viva la libertad, les américains finiront dans un goulag au Daech et chez Davy, on a tellement de couilles qu’on n’a pas peur de se faire hacker par la CIA en tenant ce genre de propos ! Dont acte ! Venons-en au fait.

Je vais vous parler d’un disque oublié, qui gisait-là dans les affres de ma mémoire comme un amas de cendres froides et qui, soudain fut ravivé, sans autre justification.

Sorti en 2007, c’était un morceau de bravoure qui passa inaperçu, l’album d’un rappeur (ou slammeur, à votre guise) congo-belge – désigné hâtivement comme le Grand Corps Malade du plat pays par des Inrocks qui commençaient déjà à se corrompre et qui bientôt préférèrent Stromae. Tu vois ce que je veux dire, quand je te parle de corruption.

Nous sommes pourtant en présence d’un des objets musicaux francophones les plus marquant, selon moi, des années 2000. Oui, devant Tal.

Durant 1h18, Baloji conte le récit émouvant d’une enfance et d’une adolescence tortueuse et torturée : la sienne, celle d’un jeune congolais déraciné, élevé en Belgique.

Baloji n’a pas crié sous les charts Papaoutai mais raconte la relation conflictuelle avec « sa famille d’emprunt », et, par la truculence d’un flow incisif, parvient à nous plonger en empathie avec cet enfant sensible aux « portes qui claquent, clinches qui grincent ».

La beauté de cet album réside dans cette justesse, cette pudeur, cette élégance de l’écriture, du rap, du chant, des instruments, à nous communiquer le « vague à l’âme ». Cette œuvre est universelle parce qu’elle traite l’immigration à l’aune du sentiment de vide, de nausée face à l’absurdité d’être. Tous, comme en « transit », en exil sur cette terre. Mais pour Baloji, sage stoïcien, c’est le destin qui nous sauve de ces considérations angoissantes et il le scande avec la douceur d’un marteau-piqueur au burin de velour dans ce magnifique refrain d’Ostende Transit :

 «  Je compte les faits, non pas de féeries
Je suis arrivé en bord de Meuse sans le ferry
Mais on dit que la vie ne promet que la mort
Elle m a promis la musique et un putain de passeport
Est-ce un but ou un moyen d être maître de son sort ?
Partir avec l’impression comme James Ensor
Que la nature humaine est morte »

La fatalité, le destin, sont des leitmotiv lancinant qui viennent à chaque paragraphe des textes de Baloji conjurer la mélancolie. Le rappeur, en même temps qu’exorciser ses maux célèbre sa réconciliation avec lui-même. Loin d’un égotrip, le récit de cette histoire est une analogie à l’histoire de son pays d’origine, le Congo, qu’il harangue à aller de l’avant, à ne pas être prisonnier de son passé.

 Mais Hôtel Impala n’est pas que cérébrale et littéraire, Baloji en groom groovy nous promène dans son édifice psychique, nous faisant pénétrer, au grès de ses humeurs dans des chambres aux couleurs contrastées. Dans l’ascenseur on écoute Marvin Gaye, John Coltrane, Jacques Brel, la musique folklorique africaine et congolaise, le funk, la soul, le jazz, la chanson française… C’était, finalement, un Stromae, mieux inspiré, mais avorté, parce qu’ignoré par les médias. D’où le fait qu’aujourd’hui, ma mémoire et la partie droite de mon cerveau concourussent à convoquer Baloji pour qu’il soit réhabilité par un article dans ce blog rétro-visionnaire.

Destin.

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique et Critique Ciné.

Diplômé en littérature comparée et communication, a étudié la naissance du fantastique en littérature et sa transposition cinématographique ; chroniqueur cinéma et musiques actuelles sur le web.

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