Déjà primé pour le « Discours d’un Roi » en 2011, Tom Hooper revient cette année avec une autre histoire atypique : celle d’Einar Wegener, premier homme à avoir osé la transformation totale du statut d’homme à celui de femme. Si le sujet a déjà été abordé au cinéma, il est ici marqué la volonté d’un retour aux sources afin de ressentir au mieux ce qu’a pu vivre le premier transsexuel à une époque où les mœurs n’étaient pas aussi libérées qu’aujourd’hui. 

Alors, au moment où l’étincelant « The Revenant » fait beaucoup parler de lui, que faut-il retenir de son principal rival aux Oscars qu’est « The Danish Girl » ?

Bien que la transformation en tant que telle soit un sujet suffisant pour composer un film, Tom Hooper ne se focalise pas uniquement sur ce simple aspect. Ainsi, il nous conte, plus que l’histoire d’un homme devenant femme, l’histoire d’amour qui le liait à son épouse. Au fur et à mesure que l’évolution d’Einar avance, celle de leur couple aussi. C’est ce point, tiré d’une version très romancée de la vie du couple, qui va animer le long-métrage du réalisateur britannique. Hélas, ce choix est à double tranchant dans la mise en scène du film.

D’une part, il est impossible de ne pas penser au chef-d’œuvre de Xavier Dolan, Laurence Anyways, lorsqu’on analyse la structure de « The Danish Girl ». Les tourments du couple, leurs crises, l’amour véritable d’une femme envers son compagnon au point d’en accepter sa transformation, tout cette palette sonne comme un écho au film du réalisateur québécois et comme ce dernier « The Danish Girl » fait bien en ne s’arrêtant pas à la simple introspection du personnage principal et en incluant le destin du couple. C’est en effet cette analyse qui va apporter de la richesse aux 2h de film.

Eddie-Redmayne-in-The-Danish-Girl

D’autre part, et c’est ici que le bât blesse, mettre en scène une version romancée voire hyper romancée, d’une transformation difficile et à l’époque mal vue, entraîne nécessairement un lot de scènes dont la mièvrerie n’a d’égale que le piètre sens de la finesse. Ainsi, des premières scènes instaurant l’ambiguïté du personnage d’Einar à son final dégoulinant de niaiserie, le film à la douce subtilité du boxeur de 200kg qui vous envoie un crochet du droit dans les maxillaires.

Cette mise en scène « aux petits violons » est à regretter d’autant que le long-métrage peut se prévaloir d’une réalisation véritablement soignée. A l’image du « Discours d’un Roi », Tom Hooper livre un travail très propre. Signant un film très académique dans son rendu, à l’image de « The Imitation Game » de Morten Tyldum sorti à la même époque l’an dernier, il est difficile d’oublier que le réalisateur britannique est ici pour séduire le jury des Oscars. Cependant, passé cet académisme, le film est des plus agréables à l’œil. Enchaînant les flous d’arrières-plans ultra-soignés et concentrant sa caméra sur le visage de ses acteurs, Hooper fait une fois de plus montre de son côté très pointilleux, se reposant sur un directeur de la photographie plus que compétent. En bémol, l’utilisation des plans rapprochés est parfois excessive, on en prend conscience lorsqu’un landscape s’offre à nous, véritable respiration parmi cette accumulation de close-up.

alicia-vikander-danish-girl

Hélas, là où la photographie est magnifique, la direction des acteurs l’est un peu moins. S’il à noter l’étonnante révélation qu’est Alicia Vikander dans le rôle de Gerda Wegener, le jeu d’Eddie Redmayne n’est pas du même acabit. Récompensé aux Oscars l’an dernier pour son interprétation de Stephen Hawking, ce dernier cabotine complètement dans « The Danish Girl ». Partagé entre trois expressions faciales : le sourire gêné, la mine contrite/ahurie et l’air éploré, Redmayne surjoue en permanence. A aucun moment il ne rend son personnage attendrissant, ne tendant que vers une interprétation pataude et larmoyante.

Tout en minauderies excessives, il ne suscite que l’énervement, sans qu’aucune empathie ne soit possible pour le combat d’une personne qui pourtant en aurait mérité. C’est donc l’énorme déception sur ce point. Malgré le maquillage, malgré les trop nombreuses poses, Redmayne gâche à lui seul le grand potentiel que pouvait avoir ce film. Reste une poignée de rôles secondaires, si aisément oubliables, tant Hooper ne semble avoir d’yeux que pour la farce ambulante qu’est son acteur principal.

27DANISHGIRL-master675

On ne serait alors que trop recommander ce beau film-fleuve qu’est « Laurence Anyways ». On se rappellera de ses plans grandioses, de sa mise en scène poétique. On évoquera Suzanne Clément, poignante et sincère, sans oublier le grand Melvil Poupaud, bien plus convaincant dans son rôle transformiste. On se souviendra, une fois de plus, qu’il n’est peut être pas si académiste Xavier Dolan, peut être même un peu prétentieux, un peu rebelle. Mais surtout, qu’il a du talent. Ce talent pour vous conter les histoires qui vous touchent vraiment, loin des carcans d’Hollywood.

Au final, « The Danish Girl » représente une fois de plus ce type de long-métrage produit pour les Oscars. Il n’aurait jamais vu le jour hors-délais. Non, ce film est la fine préparation d’un plat servi aux Académistes : une réalisation très soignée, un sujet controversé (à l’image de The Dallas Buyers Club ou de The Imitation Game une fois encore), une histoire d’amour tragique, un destin « émouvant ». Et puis, grand Dieu, Eddie Redmayne se travesti, que dis-je, il se transforme. Allons, Messieurs, donnez-lui son Oscar. De toutes manières, vous ne savez récompenser que ça.

A propos de l'auteur

Rédacteur Cinéma

Spectateur compulsif de cinéma et de séries, écrivain passionné, chroniqueur web.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.