Il existe dans le paysage musical certains météores qui laissent une trace indélébile. Des carrières flamboyantes sorties de nulle part et des destins brisés en pleine ascension. Hormis le fameux «club des 27», il y a Otis Redding, qui aurait pu y figurer à un an près, si son ange gardien lui avait soufflé un peu plus fort dans les trompes d’Eustache. Cet homme talentueux est venu au monde pour sauver la musique noire et l’a emmenée bien plus loin que les barrières de son époque ne le permettaient.

Depuis ses débuts dans les églises de sa Géorgie natale, jusqu’au Pop Festival de Monterey, «Big O» a gravi les échelons pour dépasser ses maîtres, Sam Cooke et Little Richard et offrir à la planète qui le découvrait (Sittin’ on) The dock of the bay, enregistré trois jours seulement avant sa disparition.

Son style de chant lui confère une stature de prêcheur, autant que véritable chanteur. Surtout que le gars faisait ses 100 kg pour 1m85, ce qui nous donne un sacré coffre pour dominer la discussion lors du banquet dominical.

Officiant déjà tout jeune dans la chorale de l’église Baptiste de Macon, en Géorgie, il apprend le chant, la guitare et le piano et se met même à la batterie à l’âge de 10 ans. Plutôt précoce, le gars !

Sa carrière semi-pro, il la démarre à 15 ans, lorsqu’il quitte l’école pour subvenir aux besoins de la famille. Son papa, Otis Senior, atteint de tuberculose, doit rester à la maison entre deux hospitalisations et sa mère est la seule source de revenus. Alors il enchaîne les petits boulots: puisatier (creuseur de puits, inculte!), pompiste, et surtout pianiste et choriste de Gladys Williams, une chanteuse connue dans le coin qui va le lancer dans le monde du spectacle.

Après une période où il gagne des concours de chant (dont le prize money est de 5$!!!), il est embauché par divers groupes de rock ‘n roll, remplace même le patron Little Richard et signe ses premières chansons. Il est à noter qu’avant d’enregistrer ses premiers titres, il aura tourné partout dans le sud des États-Unis, sur un circuit de salles réservé aux Afro-Américains, touchant 25$ par concert…autres temps, autre mœurs! En 1962 sortent les singles She’s allright, puis Shout Bamalama sur le label Confederate Records. Un pote à lui, Johnny Jenkins, doit enregistrer quelques sessions pour les monstrueux studios Stax à Memphis. Otis va le conduire en bagnole et la séance se terminant plus tôt que prévu, car les morceaux sont moyens, le bon gars Redding est autorisé à chanter deux de ses titres.

Et bim! Il balance These arms of mine et Hey Hey Baby à la face des producteurs qui en sont complètement retournés! Ils le signent sur le coup et sortent les deux faces sur galette. Résultat aujourd’hui, 800 000 copies vendues. «Big O» commence à monter au plus haut des cieux et n’en descendra jamais…

Du coup, l’album contenant les premiers enregistrements de 62 à 63 s’intitule Pain in my Heart et sort le 1er Janvier 64. Il se hisse au classement des meilleures ventes R’nB. Les contrats de concerts pleuvent et Redding est invité à se produire à New York à l’Apollo Theater, partageant alors l’affiche avec Ben E. King (le mec qui a créé Stand by me, excusez du peu) et côtoyant le grand Muhammad Ali

Un album public sorti en 64 produit par Atlantic Records sort de cette expérience new-yorkaise, puis un autre enregistré en studio en mars 65 intitulé sobrement The greatest Otis Redding sings Soul ballads. Ce disque contient le titre Mr Pitiful, un surnom qu’un DJ avait donné à Redding pour la lenteur du tempo utilisé dans ses reprises soul…

Et puis en septembre 64, les studios Stax sont témoins d’un événement majeur…son 3ème album: Otis Blue. Le chanteur est chaud bouillant, il prépare les arrangements et enregistre dix des onze titres en vingt-quatre heures avec son backing band Booker T and the MG’s, signe les plus belles chansons (RESPECT, I’ve been lovin’ you, Ole man trouble…) et se permet de reprendre non seulement ses idoles, mais aussi Satisfaction des Rolling Stones, fichtre! Un disque à (re)découvrir sur vinyle comme sur CD, toute la quintessence du savoir faire Stax!

Pour l’histoire, la chanson RESPECT sera mondialement connue lorsqu’elle sera chantée par l’immense Aretha Franklin…hééééé oui, c’est Otis qui l’a chantée en preum’s!

Après avoir emménagé dans un ranch de 120 hectares en Géorgie (bah ouais, Otis est comme tout le monde, il cherche à se mettre bien), il crée une boîte de prod (Jotis Records) avec des copains musiciens de Stax et produit quatre albums pour d’autres artistes. Il termine l’année en se produisant sur la scène du Whisky A Gogo à Los Angeles, devenant le premier soul-man à jouer dans des clubs rock en Californie…les temps changent, mais pas trop vite quand même. Il y rencontrera Bob Dylan, et en même temps le succès chez le public blanc.

En 1966, il enregistre à Memphis de nouvelles chansons, notamment Try a little Tenderness, une vieille scie écrite en 1932, déjà reprise par Bing Crosby et même Frank Sinatra…des blancs. Les producteurs essayent de l’en empêcher, trop inquiets d’imaginer la réaction des culs terreux. Il s’avère pourtant que la version de Redding va poutrer toutes les anciennes copies et aujourd’hui, seule sa version est disponible partout. Dans ta face, Frankie! Encore une fois, la prod d’Isaac Hayes (patron de la Stax et éminent funkiste, souvenez-vous de Shaft!!) est irréprochable.

L’année 66 marque aussi la première tournée des poulains des studios Stax en Europe. Redding et sa bande arrivent quelques jours avant les autres groupes et s’étonnent d’être accueillis à l’aéroport par une limousine envoyée par les Beatles, complètement sous le charme du Big O.

S’en suit une tournée européenne qui le fera connaître loin des frontières de la Soul music.

En mars 1967, un album de duos avec Carla Thomas sort et se classe bien dans le hit parade. Certaines des prises de voix seront enregistrées à part, en overdub, à cause du calendrier surchargé d’Otis. Il repart rapidement en Europe donner des concerts à Paris (Olympia), Londres et à Stockholm. Un enregistrement live sort trois mois après.

En Juin, Redding est programmé à l’International Pop Festival de Monterey, en compagnie de Ravi Shankar, Jefferson Airplane, The Who, Grateful Dead et Jimi Hendrix Experience… de quoi asseoir sa réputation au niveau mondial!

Il retourne au boulot avec son nouveau protégé, Arthur Conley, contre l’avis de sa maison de disque et enregistre Sweet Soul Music qui se hissera en deuxième place des charts. Il se fera hospitaliser quelques semaines plus tard pour des polypes au larynx, qui l’empêchent de chanter correctement.

En Décembre 1967, Otis Redding rentre à Memphis aux studios Stax et grave ses dernières notes, son épitaphe… (Sittin’on) The dock of the Bay fait grincer les dents à tous ses proches, amis comme collègues. En effet, la mélodie et l’atmosphère qui s’en dégage ne fait pas R’nB et pourrait ternir l’image de Stax. De plus, la fin de cette balade chaloupée est sifflée, comme s’il ne voulait pas la finir convenablement…

Un accident va pourtant emmener cette chanson beaucoup plus loin que toutes les autres, il se produit trois jours plus tard entre deux dates de concert. L’avion d’Otis s’écrase dans un lac du Wisconsin, et sur huit passagers et membres d’équipage, seul le trompettiste Ben Cauley s’en sort vivant. Redding est repêché le jour suivant et le monde de la musique se retrouve endeuillé.

Depuis ce 10 Décembre 1967 subsiste une mélodie entêtante, sifflée quelque part dans les airs, que tout le monde aujourd’hui reconnaît. Une mélodie que j’ai découverte grâce à mon paternel, qui a eu seize ans ce jour funeste.

 

 

A propos de l'auteur

Rédacteur Musique

Né à Lille, grandi à Agen puis réfugié politico-musical à Bordeaux, Hell Touane a subi l'influence de sa famille proche au travers de nombreux standards vinyles bien avant l'avènement du Compact Disc et son premier méfait: Claude Barzotti. En thérapie par l'écriture depuis.

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